Climat Ecologie individuelle

La pratique du ski face au changement climatique

La hausse des températures mondiales met en danger la pratique du ski. Avec près de 2°C de plus en montagne, les chutes de neiges sont plus erratiques et la couverture neigeuse diminue au fil des ans. Face au changement climatique, les stations de sports d’hiver en France essayent de s’adapter. Faut-il avoir encore plus recours aux canons à neige ou diversifier les activités hivernales ? Ces questions se posent légitiment pour les stations de basse et moyenne montagne. Alors que le début de saison 2022-2023 a connu un manque de neige et que certaines stations ont dû fermer leurs remontées mécaniques, quel est l’avenir de la pratique du ski face au changement climatique ?

L’essor du ski avec le plan neige

Le plan neige ou plutôt les plans neige sont une série de plans des années 60 et 70 qui ont permis l’aménagement de stations de sports d’hiver en haute montagne. Des stations nouvelles comme Tignes, Les Arcs, Avoriaz, Isola 200, Val Thorens sont sortis de terre. En tout, au cours des 15 ans d’aménagements, les massifs alpins ont vu 23 stations créées ex nihilo. 20 stations déjà existantes ont aussi bénéficié de ces plans neige. La principe est le suivant : le « promoteur aménageur » construit les logements, les restaurants et les commerces de la station, tous les réseaux et exploite le domaine skiable. Au final, 150 000 lits sur les 350 000 initialement prévus ont été construits.

A la fin des années 70, les critiques s’élèvent contre ces aménagement rapides dans des milieux fragiles de la haute montagne. Les détracteurs pointent du doigt les conséquences environnementales et les atteintes au paysage de ces « usines à skis »1. Autre critique : les plans neige n’ont jamais réussi à démocratiser la pratique du ski.

Répartition des stations de ski dans le monde

L’économie du ski

On compte entre 250 (Domaines Skiables de France2) et 350 stations ou sites de ski alpin et nordique (France Montagnes3) en France sur les 6 massifs nationaux. Le ski génère 18 000 emplois directs et 120 000 emplois indirects. Avec un chiffres d’affaires de 1,5 milliards d’euros, le tourisme du ski représente 5 à 10 % de l’économie du tourisme en France. 95 % de l’activité se fait en hiver.

Les investissements des stations de skis vont d’abord dans les remontées mécaniques, service indispensable pour attirer des client·es puis dans la neige de culture pour sécuriser l’ouverture des pistes de skis.

Avec le plus grand domaine skiable d’Europe, les stations françaises accueillent 10 millions de touristes par an même si seulement 70 % pratiquent un sport de glisse. Ainsi la France se classe 2ème ou 3ème au plan mondial, suivant les années après les États-Unis et l’Autriche en nombre de journées-skieur4. Domaines skiables de France estime que 1€ dépensé par forfait rapporte 6€ de plus à la station.

Une démocratisation du ski qui n’a pas eu lieu

Si l’un des objectifs du plan neige était la démocratisation du ski, elle n’a pas eu lieu. Selon une enquête du Crédoc de 2010 citée par les décodeurs du Monde, 8 % des Français·es partent à la montagne en hiver. Le ministère de sports dénombre 11 % de pratiquants de ski alpin et moins de 2 % pour le ski de fond5. Dans un sondage Ipsos de 2021 pour Domaines Skiables de France, 20 % des Français·es pratiquent le ski alpin ou le snowboard au moins une fois par an6. France Montagnes annonce que 9 % de la population française pratique le ski alpin, le snowboard ou le ski de rando sur un hiver donné. Si les chiffres varient, on peut estimer que moins de 20 % des Français·es skient tous les ans. Cette pratique reste réservée à une certaine catégorie de la population : des cadres urbains et aisés, toujours selon le Crédoc. Ces chiffres sont confirmés par le ministère des sports en 20167.

Enfin, on peut noter qu’au cours des 10 dernières années, la fréquentation des stations de skis est en légère baisse au plan national de -0,4 %2.

Source : Joan Oger (Unsplash)

Le ski face au changement climatique

A l’image des continents, les massifs montagneux se réchauffent plus vite que la moyenne mondiale. En conséquence, en 20 ans, cinq glaciers français suivis par les scientifiques ont perdu 25 mètres équivalent eau. La couverture neigeuse et les durées d’enneigement baissent. Par exemple, au col de Porte, dans les Alpes, le manteau neigeux a diminué de 38 cm8.

Pour faire face à cette variabilité de la neige, les stations de ski ont recours à des solutions techniques comme le stockage de la neige (snowfarming) d’une saison sur l’autre et aux canons à neige (snowmaking).

L’utilisation de la neige de culture

Afin d’assurer l’ouverture des pistes de ski pour les vacances de Noël, les stations de toutes altitudes ont recours aux enneigeurs. Ils sont surtout utilisés en novembre et décembre. Pour fonctionner il faut de l’eau, du froid et de l’électricité.

Surface totale de pistes enneigées avec de la neige de culture en Europe

Des températures moins froides nuisent à la production de neige artificielle

Le réchauffement climatique perturbe la fabrication de la neige de culture. Le redoux de décembre 2022 a fait fondre la neige déjà présente et les enneigeurs n’ont pu fonctionné dans de nombreuses stations. La température doit être inférieure à -2°C pour faire tourner les canons à neige Résultat : des pistes fermées. Si le changement climatique entraîne une diminution de la quantité de neige naturelle, la période pour fabriquer de la neige est aussi restreinte. Dans une étude parue en 2019, des chercheurs et chercheuses françaises montrent qu’il faudra aller toujours plus haut en altitude pour avoir de la neige naturelle et artificielle : + 200 à 300 mètres dans les Alpes, + 400 à 600 mètres dans les Pyrénées en 2050. Sur les 175 stations étudiées, dans un futur proche (2030-2050), entre 14 et 24 stations auraient l’assurance d’avoir un apport suffisant de neige naturelle. La majorité devront avoir recours à la neige de culture. Enfin 25 % des remontées mécaniques se trouveront dans un situation critique9.

Évolution de l’enneigement naturel et artificiel. Catégories 1 à 3 : conditions d’enneigement naturel fiables, catégories 4 et 5 : conditions d’enneigement fiables avec neige artificiel, catégories 6 et 7 : la neige artificielle n’est pas suffisante pour garantir un enneigement fiable.

L’utilisation d’électricité en période de sobriété

Si les progrès techniques ont permis de consommer moins d’électricité, il faut entre 1 et 3 kWh pour produire 1 m³ de neige ce qui revient à 2,50€ le m³. Pour Domaines skiables de France, la consommation électrique annuelle est de 112 millions de kWh soit l’équivalent de la consommation annuelle d’un peu plus de 23 000 foyers2. Vincent Vlès et Emeline Hatt avance le chiffre d’une consommation de 25 000 kWh par hectare de piste soit l’équivalent de 50 000 foyers. Les deux chercheur·ses en urbanisme évoque également l’augmentation du prix de l’électricité faisant craindre que la pratique du ski devienne un loisir de luxe. De plus, les plus petites stations ne pourront pas faire face à ces dépenses supplémentaires10. Enfin, dans un contexte où l’électricité vient à manquer, recourir toujours plus aux enneigeurs ne semblent pas pertinent.

Source : Matt_214 (Unsplash)

L’eau essentielle pour fabriquer de la neige

Troisième élément indispensable pour fabriquer de la neige, l’eau crispe la majorité des débats entre pro et anti-neige artificielle. Comme le rappelle Domaines skiables de France, notre pays n’est pas le plus gros utilisateur de neige de culture. 37 % des pistes sont recouvertes en partie de neige artificielle, loin derrière l’Autriche (70%) ou l’Italie (90%). La neige de culture représente environ 10 % en moyenne du volume de neige présente sur les pistes.

Pour faire tourner les enneigeurs, les stations de ski ont besoin de 25 millions de m³ d’eau. Cette eau est stockée dans des retenues d’altitude à 65 %, alimentés par ruissellement, par des cours d’eau, par le trop plein d’eau potable, par des barrages hydroélectriques ou par un réseau d’eau potable… Il existe environ 150 retenues de ce type en montagne.

Cependant, pour garantir de la neige aux skieur·ses de décembre à avril, les canons à neige donc les retenues d’eau vont se multiplier dans les années à venir. Ainsi, le département de l’Isère prévoit d’équiper près de la moitié (42%) de ces domaines skiables d’enneigeurs en 2025. La demande en eau a triplé entre 2000 et 2017 et va augmenter de 50 % d’ici 2025. La capacité de stockage en eau (création et agrandissement) va doubler. Ces investissements permettront de garantir un enneigement similaire en 2050 par rapport à aujourd’hui11. Cependant, une étude récente pour le département de l’Isère montre que « la pression sur la ressource en eau n’est pas le point le plus délicat pour la mise en œuvre de la neige de culture, à l’échelle des bassins versants dans lesquels les stations iséroises sont situées.12».

En période hivernale, la demande en eau s’accroît sous l’effet touristique à une période où les cours d’eau sont au plus bas. Ainsi, dans les grandes stations, la consommation annuelle est de 381 m³ soit 2,5 fois plus que dans les petites stations13. En 2003, le sénateur Gérard Miquel rappelait que la quantité d’eau utilisée pour la neige de culture (4 000m3 à l’hectare) est supérieure à celle de « l’irrigation de maïs (1 700 m3 à l’hectare en Isère) et voisine de l’irrigation en arboriculture provençale.14» Si les conflits d’usage de l’eau sont faibles aujourd’hui, qu’en sera-t-il à l’avenir quand les sécheresses se multiplieront ?

Évolution des prélèvements en eau pour la fabrication de neige de culture en Savoie en fonction de l’origine de l’eau. *dont trop-plein. Source 13.

Un mécanisme de dépendance vis-à-vis de la neige de culture

Si les études scientifiques sur la gestion de l’eau en montagne tendent à penser que la neige de culture n’est pas néfaste à la ressource en eau, certains chercheurs pointent du doigt une dépendance des stations de ski à la production de neige.

Pour faire face à la variabilité des chutes de neige, les stations de sports d’hiver ont massivement investi dans des canons à neige au début des années 90. Cependant, cela risque de les entraîner à leur perte. Les investissements sont importants pour les stations. Les remontées mécaniques et la neige de culture ont un coût qui se font au détriment de la diversification des activités de montagne. Les domaines skiables deviennent dépendants de cette technologie et tributaires des conditions météo, des ressources en eau et d’une énergie à un coût acceptable. Pourtant les investissements dans ce domaine se multiplient soutenus souvent par des subventions publics.

Source : Hans (Pixabay)

Une nécessaire adaptation au changement climatique

En moyenne, trois stations de ski ferment par an. Depuis 1951, on compte 186 fermetures c’est-à-dire l’arrêt des remontées mécaniques15. Pour faire face à des chutes de neige moins importantes et plus aléatoires, les domaines skiables français ont investis massivement dans les canons à neige. Cependant, ces investissements sont lourds et les stations de moyenne et basse altitudes ne pourront pas supporter ces surcoûts.

Aujourd’hui, très peu de stations de ski s’engagent dans la transition et la diversification. L’exemple le plus abouti est la station de Métabief, dans le Haut-Doubs qui a déjà tourné la page du tout ski. Autre exemple : la station de Ceüze 2000 définitivement fermée. Les pratiquants locaux se réapproprient les activités de loisirs à la montagne16.

Pourtant ces exemples restent marginaux. Rester dans le modèle du tout-ski en s’appuyant sur la technique (damage optimisé, enneigeurs) sera-t-il un bon investissement après 2050 ? Pas si sûr. La vision des promoteurs et aménageurs est avant tout court-termiste et s’enferme dans un sentier de la dépendance technologique.

Enfin, l’aménagement de la montagne pose des questions sur l’atteinte aux paysages et la biodiversité. Aujourd’hui, pratique non écologique, le ski pourrait se réinventer à condition de sortir des schémas d’aménagements des années 60 et 70.

Selon vous, quel est l’avenir du ski dans les années à venir ?

Bibliographie :

1 Daniel Gilbert et Philippe Viguier, Plan Neige, Géoconfluence, mars 2018, consulté le 17/02/2023

2 Domaines, skiables de France, dossier de presse, hiver 2022/2023

3 La montagne, çà vous gagne !, dossier de presse, hiver 22-23, France Montagnes

4 La journée-skieur est une unité de comptage de la fréquentation des pistes de ski. Elle mesure le nombre de premiers passages enregistrés de skieurs, quelque soit leur matériel et correspond au nombre de forfaits-jours vendus.

5 Les chiffres clés du sport, Ministère de la jeunesse et des sports, Mars 2017

6 Indicateurs et analyses 2022, Domaines Skiables de France, septembre 2022

7 En 2016, la France compte environ 5,6 millions d’adeptes du ski alpin, Pôle ressources National Sports de Nature, 2019, consulté le 17/02/2023

8 Impacts du changement climatique : Montagne et Glaciers, Ministère de la transition écologique, 2023, consulté le 17/02/2023

9 Spandre P. et al., Winter tourism under climate change in the Pyrenees and the French Alps : relevance of snowmaking as a technical adaptation, The Cryosphèere, 13, 2019

10 Vincent Vlès, Emeline Hatt. Des stations de ski et d’alpinisme confrontées aux enjeux de la transition : changement énergétique et écologique, évolution touristique, requalification urbaine.. Le tourisme hivernal – clé de succès et de développement pour les collectivités de montagne ?, L’Harmattan, pp.177-198, 2019, Collection GRALE

11 Perspectives d’enneigement et impacts sur les ressources des stations iséroises (2025-2050), synthèse

12 Gerbaux M et al., Fiabilité de l’enneigement et disponibilité des ressources en eau pour la production de neige dans les domaines skiables du Département de l’Isère (France), en conditions climatiques actuelles et futures, Journal of Alpine Researchn 108-1, 2020

13 L’eau dans les stations de ski : une ressource sous pression, Commissariat général au développement durable, 2019

14 Gérar Miquel, Sénateur, La qualité de l’eau et de l’assainissement en France » (annexe n°30), OPECST, 2003

15 Métral Pierre-Alexandre, Les trajectoires de reconversion post-touristiques des stations de ski fermées françaises, Geocarrefour, 956/2, 2021

16 Claeys Cécilia, Des “ fantômes ” de la station de ski Céüze 2000 à sa transition ? Comment les pratiquants de proximité (ré)inventent les sports d’hiver durables, 2021

Crédit photo : Sonalika Vakili (Unsplash) pour la photo de couverture

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