Biodiversité

Un nouveau regard sur la biodiversité

En matière d’écologie, les sujets prédominants concernent le changement climatique et les émissions de gaz de effet de serre mais peu concernent la biodiversité. Elle devrait pourtant être traitée au même niveau que le réchauffement climatique. Pour rétablir un peu l’équilibre sur ce blog, je vous parle aujourd’hui du vivant et de notre relation à celui-ci.

L’IPBES, surnommé le « GIEC de la biodiversité » a publié début juillet deux rapports sur notre lien au vivant, à la biodiversité et aux écosystèmes. Il nous invite à reconsidérer notre vision de la nature et ne plus y voir qu’une valeur marchande. En tant qu’être humain, nous dépendons des écosystèmes, que nous habitions dans un pays développé ou dans un pays en développement. Il est temps d’avoir une utilisation plus durable des espèces sauvages.

Les espèces sauvages, un besoin vital pour des milliards de personnes

Des milliards de personnes dans le monde dépendent des espèces sauvages, pour se nourrir, se chauffer, cuisiner, se soigner, s’abriter… Elles contribuent également au bien-être, surtout pour les populations les plus vulnérables. Une seule espèce végétal ou animal peut avoir plusieurs utilisations et apporter du bien-être de multiples façons.

50 000 espèces sauvages satisfont les besoins de milliards de personnes à travers le monde. 1 personne sur 5, en particulier les femmes, les enfants, les fermiers·ères sans terre et les plus vulnérables, dépend des espèces sauvages pour leur alimentation et leurs revenus. 20 % (environ 10 000) sont prélevées pour l’alimentation humaine. Si les espèces sauvages sont d’importantes sources d’alimentation apportant des micronutriments notamment et des revenus, elles fournissent aussi des bienfaits non matériels, que ce soit culturel ou religieux.

« 70 % des populations pauvres de la planète dépendent directement des espèces sauvages. »

Les arbres sont une importante source de bois pour le chauffage, la cuisine ou la construction. Ils fournissent 2/3 du bois rond et la moitié du bois consommé est utilisé pour l’énergie. 15 % de cette industrie est géré par des communautés locales ou des peuples indigènes. L’industrie du bois est présente dans un quart des forêts mondiales.

Le tourisme, dont l’observation de la nature, apporte un bien-être physique et mental, sensibilise et facilite les connections à la nature. Il apporte également des bénéfices locaux comme des revenus directs pour les communautés et emplois.

Tendances dans l'utilisation et l'utilisation durable des espèces sauvages des années 2000 à aujourd'hui
Tendances dans l’utilisation et l’utilisation durable des espèces sauvages des années 2000 à aujourd’hui

Une identité pour les communautés locales

L’utilisation durable des espèces sauvages joue un rôle essentiel dans le bien-être des communautés locales et des peuples indigènes. Mais la perte de biodiversité est aussi une menace pour leur survie. Elles est centrale pour leurs identités, leurs cultures et leurs moyens de subsistances (nourriture, médicaments, combustibles, rituels…). C’est aussi une source d’emploi.

Pour de nombreux peuples indigènes et communautés locales, l’utilisation durable des espèces sauvages fait partie des connaissances et des pratiques locales. Elle est également intégrée dans leur spiritualité. Si la culture de ces peuples est diverse, on retrouve des valeurs communes dans leurs pratiques dont le respect de la nature.

Les menaces sur les espèces sauvages

Le rapport de l’IPBES mentionne plusieurs menaces qui pèsent sur les espèces sauvages : les modifications des paysages terrestres et marins, le changement climatique, la pollution et les espèces exotiques envahissantes, le commerce illégal des espèces sauvages. Tous ces facteurs contribuent à une utilisation non durable.

La surexploitation

La surexploitation est l’une des principales menaces qui pèse sur les espèces sauvages. Seulement 1/3 des espèces sauvages est utilisé de manière durable. La surexploitation est la menace principale sur les écosystèmes marins et la deuxième pour les écosystèmes terrestres et d’eau douce. Un système de gestion efficace, basé sur des politiques de droits d’accès et fonciers, contribue à la conservation d’écosystèmes à l’échelle locale.

« La surexploitation est l’une des principales menaces pour la survie de nombreuses espèces sauvages terrestres et aquatiques »

Les exemples de surexploitation sont nombreux. La surpêche est la cause principale de la disparition des requins et des raies. La chasse menace les mammifères ainsi que les oiseaux. La surexploitation de la forêt compromet la survie de 12 % des arbres et la cueillette non durable met en danger plusieurs familles de plantes comme les cactus ou les orchidées. Toutefois, sur les territoires indigènes on observe moins de déforestation du fait de leurs pratiques respectueuses de la nature. La biodiversité s’y maintient et augmente.

Le changement climatique

Le changement climatique est également une menace importante comme le soulignaient déjà le rapport du GIEC. Le réchauffement climatique, l’augmentation des précipitations, la hausse de la fréquence et de l’intensité des phénomènes climatiques et météorologiques sont autant de risques pour la biodiversité et les populations qui en dépendent. Le changement climatique a déjà un impact sur la distribution des espèces. On observe une migration vers les pôles et en altitude de certains animaux. Le changement climatique exacerbe la vulnérabilité et les inégalités sociales et économiques des populations. Il aura aussi des impacts sur les pratiques extractives (pêche) et non extractives (tourisme).

Le commerce illégal

Le commerce mondial des espèces sauvages augmente en volume, en valeur et en marché depuis 40 ans. Ce commerce concerne les espèces sauvages vivantes mais aussi leurs parties ou produits (comme les ailerons de requins). C’est une source importante de revenus pour les pays exportateurs. Toutefois, on observe un découplage entre la consommation d’espèces sauvages et leur lieu d’origine entraînant une augmentation de la pression et un effondrement des populations comme les requins. Le commerce illégal d’espèces sauvages est au troisième rang des commerces illégaux. Le bois et les poissons sont les plus menacés.

Les solutions pour un usage durable

« La bonne gestion de la biodiversité par les peuples autochtones est souvent intégrée dans les pratiques, la spiritualité et les savoirs locaux. »

Le rapport identifie sept éléments clés pour promouvoir l’utilisation durable des espèces sauvages :

  1. Des politiques inclusives et participatives ;
  2. Des politiques reconnaissant et soutenant les formes multiples de connaissances ;
  3. Des instruments et des outils politiques assurant une distribution juste et équitable des coûts et des bénéfices ;
  4. Des politiques spécifiques au contexte social, écologique et local ;
  5. Une surveillance des espèces sauvages et des pratiques ;
  6. Des instruments politiques alignés aux niveaux international, national, régional et local cohérents et conformes aux obligations internationales et tenant compte des règles et normes coutumières ;
  7. Des institutions solides, y compris les institutions coutumières.
Source : IPBES,

Si l’utilisation durable commence à apparaître dans les accords internationaux, les indicateurs disponibles ne donnent qu’une vue fragmentaire car ils sont peu sensibles ou peu spécifiques.

Les instruments et outils politiques mis en place pour promouvoir l’usage durable de l’utilisation des espèces sauvages doit prend en compte le contexte socio-économiques dans le respect de la justice, des droits et de l’équité. Ces politiques sont d’autant plus efficaces qu’elles sont portées par des institutions fiables et adaptatives qui prennent en compte le droit coutumier.

La surveillance de l’aspect écologique, social et économique est crucial pour l’usage durable des espèces sauvages. Si la surveillance scientifique est limitée, s’appuyer sur les connaissances des communautés locales conduit une meilleure prise de décision.

A l’avenir, le changement climatique, l’augmentation de la demande et les avancées technologiques vont affecter les espèces sauvages et leur utilisation. Dans de nombreuse pratiques (pêche, cueillette sauvage, exploitation du bois, prélèvement d’animaux terrestres dont chasse), la demande en espèces sauvages est liée à la démographie et aux schémas de consommation. Les technologies sont des effets positifs et négatifs. Elles permettent d’améliorer la surveillance et l’observation mais rendent les pratiques extractrices plus efficaces. On peut exploiter les ressources plus rapidement et plus intensivement.

Toutefois, l’IPBES préconise de repenser notre relation à la nature : ne plus être dans le dualisme être humain – nature mais dans une vision où l’être humain fait partie de la nature. Il ne faut pas considérer la nature comme une valeur marchande.

Repenser notre relation au vivant

L’être humain se considère très souvent comme séparé de la nature. En conséquence, les décisions politiques et économiques sont fondées sur un ensemble limité de valeurs marchandes de la nature. Elles priorisent la production intensive, ce qui affecte la qualité de vie des populations. Les valeurs non marchandes, comme la régulation du climat ou l’identité culturelle, sont négligées. Selon le rapport d’évaluation mondiale 2019 de l’IPBES, la croissance économique est l’un des principaux moteur de la destruction de la nature. Elle est aussi responsable de la menace d’extinction pesant sur un million d’espèces végétales et animales.

« Orienter la prise de décision vers les multiples valeurs de la nature est un élément très important du changement profond du système, lequel est nécessaire pour lutter contre la crise mondiale de la biodiversité actuelle . Cela implique de redéfinir développement et bonne qualité de vie et reconnaître la multiplicité des relations des êtres humains entre eux et avec le monde naturel. »

Pourtant, les êtres humains ont développés des multiples façons de comprendre et de se connecter à la nature. Les multiples valeurs de la nature sont rarement prises en compte dans les décisions politiques et économiques. Or, c’est une opportunité pour remédier au déclin de la biodiversité.

Ce rapport sur les valeurs de la nature de l’IPBES dessinent quatre manières d’être lié·e à la nature : vivre de la nature, vivre avec la nature, vivre dans la nature, vivre comme la nature. Concrètement, on peut expliciter ces quatre perspectives avec l’exemple suivant donné par l’IPBES :

  • Vivre de la nature met l’accent sur la capacité de la nature à fournir des ressources pour assurer les moyens de subsistance, les besoins et les désirs des êtres humains comme la nourriture et les biens matériels.
  • Vivre avec la nature porte sur la vie des « êtres vivants non humains », par exemple le droit intrinsèque d’un poisson à vivre librement dans une rivière, quels que soient les besoins des personnes.
  • Vivre dans la nature renvoie à l’importance de la nature en tant que cadre contribuant à forger un sentiment d’appartenance et l’identité des personnes.
  • Vivre comme la nature illustre la connexion physique, mentale et spirituelle des êtres humains avec la nature.

En tant qu’occidentaux, notre relation à la nature se limite bien souvent à la première perspective, vivre de la nature. La nature est une ressource que l’on exploite, fruit d’un long processus intellectuel d’extraction (extractivisme) des humains sur le nature. L’éducation à la nature, la sensibilisation de public et la communication sont autant de leviers permettant de nous relier à notre environnement. Mobiliser plusieurs formes de savoirs notamment ceux des communautés autochtones n’est pas à négliger.

Les différentes interactions avec la nature : cas d'une rivière
Les différentes interactions avec la nature : cas d’une rivière

Conclusions

L’IPBES nous enjoint à reconsidérer notre rapport à la nature en reconnaissant que nous sommes dépendant·es des ressources de celle-ci pour nous nourrir, nous chauffer, nous abriter, nous vêtir. En occident, la plupart d’entre nous avons perdu ce lien au vivant et nous n’avons qu’un seul mode de penser : exploiter la nature au lieu de vivre dans ou comme la nature.

Comme le GIEC, l’IPBES rappelle que la justice et l’équité sont la clé pour mettre fin à la surexploitation du vivant. Les populations les plus pauvres sont les plus dépendantes de la vie sauvage et les plus affectées par sa dégradation. Les menaces sur les écosystèmes sont nombreux mais les solutions existent et sont à portée de main.

Quelle est votre relation à la nature ?

Bibliographie :

Summary for policymakers of the methodological assessment regarding the diverse conceptualization of multiple values of nature and its benefits, including biodiversity and ecosystem functions and services (assessment of the diverse values and valuation of nature), IPBES, Juillet 2022

Summary for policymakers of the thematic assessment of the sustainable use of wild species of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services, IPBES, Juillet 2022

Global Assessment Report on Biodiversity and Ecosystem Services, IPBES, 2019

Photo de couverture : Coralie Meurice via Unsplash

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