Climat

GIEC : Agir vite et maintenant

Après avoir fait un état des lieux de la crise climatique en vous proposant une synthèse du groupe de travail 1 du GIEC puis des impacts du changement climatique en m’intéressant aux solutions d’adaptation présentées par le groupe 2, j’aborde dans cet article les principales conclusions du rapport du groupe 3 du GIEC consacré aux mesures de réduction des gaz à effet de serre (atténuation). En plus des mesures d’adaptation au dérèglement climatique nécessaires pour y faire face, il faut dès aujourd’hui et de façon drastique baisser nos émissions tous secteurs confondus.

Le rapport en quelques chiffres

La troisième partie du sixième rapport du GIEC, paru en avril 2022, conclut la première phase de parution de l’état des lieux de la crise climatique et des solutions envisagées pour y faire face. Le rapport de synthèse de ce sixième cycle d’évaluation, basé sur les trois rapports des groupes de travail et des trois rapports spéciaux1, devrait être publié fin 2022 ou début 2023.

Le rapport final du groupe 3 compte plus de 2900 pages. Il a été écrit par 278 auteur·rices principaux·ales avec la contribution de 354 auteur·rices. Ils et elles sont issues de 65 pays dont 41 % de pays en développement mais seulement 29 % de femmes. Plus de 18 000 références ont été évaluées. Ce rapport a fait l’objet d’un peu moins de 60 000 commentaires.

Comme pour les deux précédents articles, je me suis basée essentiellement sur le résumé aux décideur·es et pour approfondir certains sujets, j’ai consulté le résumé technique, la foire aux questions et le rapport complet. La bibliographie est disponible en fin d’article.

Des émissions au plus haut qui nous éloignent de l’objectif 1,5°C

Des émissions de gaz à effet de serre au plus haut

Les émissions de gaz à effet de serre ont continué à augmenter au cours des 10 dernières années (2010 – 2019). En 2019, la hausse était de 12 % par rapport à 2010 et de 54 % par rapport à 1990. Elles sont au plus haut par rapport à toutes les décennies précédentes. Toutefois, on peut noter que le rythme de croissance a ralenti. 42 % des émissions depuis 1850 ont eu lieu entre 1990 et 2019 et 17 % entre 2010 et 2019. On a déjà émis les 4/5 de notre budget carbone pour limiter le réchauffement à 1,5°C, 2/3 pour un objectif de 2°C.

« Nous nous trouvons à la croisée des chemins. En prenant les bonnes décisions aujourd’hui, nous pouvons garantir un avenir vivable. Nous disposons des outils et du savoir-faire nécessaires pour limiter le réchauffement. »

Hoesung Lee, président du GIEC

Depuis 2010, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté dans tous les secteurs et en particulier pour les zones urbaines. L’amélioration de l’efficacité énergétique ne compense pas la hausse des émissions dues aux activités humaines. En attribuant les émissions provenant de la production d’électricité et de chaleur aux consommateurs d’énergie finale, le secteur de l’industrie émet au niveau mondial, 34 % des gaz à effet de serre. Il est suivi par le secteur de l’agriculture (22%), des bâtiments (16%) et des transports (15%). Alors qu’entre 2010 et 2019, les émissions ont baissé dans l’industrie et l’énergie, celles du transport sont restées stables.

Un objectif de 1,5°C inatteignable

L’accord de Paris avait fixé un objectif : contenir le réchauffement climatique à un niveau bien inférieur à 2°C et si possible le limiter à 1,5°C d’ici 2100. Les émissions de gaz à effet de serre en 2020 ainsi que les contributions nationales des pays2 annoncées avant la COP26 (à Glasgow fin 2021) contribueraient probablement à un réchauffement bien supérieur à 1,5°C au cours du 21ème siècle. Sans une politique ambitieuse de réduction drastique des émissions, le réchauffement climatique serait compris entre 2,7 et 3,2°C à la fin du siècle.

De plus, les émissions futures des infrastructures fonctionnant avec des énergies fossiles existantes sont équivalentes à notre budget carbone pour limiter le réchauffement à 2°C.

Graphique Émissions globales de gaz à effet de serre
Émissions globales de gaz à effet de serre

Des émissions hétérogènes géographiquement et socialement

Les émissions de gaz à effet de serre diffèrent considérablement d’une région à une autre. Si la moyenne mondiale des émissions est de 7,7-7,8 tonnes éqCO2 par personne, elle varie en réalité de 2 tonnes éqCO2 par personne à 19 tonnes éqCO2. En 2019, 35 % de la population mondiale vit dans des pays où les émissions sont supérieures à 9 tonnes éqCO2 par personne alors qu’une même proportion (41%) vivent dans des régions où la population émet en moyenne moins de 3 tonnes éqCO2. Toutefois, éradiquer l’extrême pauvreté et assurer un niveau de vie décent à ces populations peut être atteint sans croissance des émissions.

A l’échelle mondiale, les 10 % des ménages les plus riches sont les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Ils contribuent entre 35 à 45 % des émissions. A l’opposé, la moitié des ménages les plus pauvres n’émettent que 13 à 15 % des gaz à effet de serre à l’échelle mondiale.

Graphique émissions des gaz à effet de serre par régions mondiales
Émissions nettes de gaz à effet de serre anthropiques par personne et pour la population totale, par région (2019)

Enfin, les contributions historiques depuis 1850 des différents pays ou régions varient considérablement. L’Amérique du Nord et l’Europe ont émis 23 % et 16 % respectivement de CO2 depuis 1850 soit 40 % des émissions mondiales de CO2 cumulées depuis 1850.

Graphique émissions de CO2 historiques depuis 1850 par régions mondiales
Émissions anthropiques nettes historiques cumulées de CO2 par région (1850 – 2019)

Des politiques d’atténuation en hausse

Les politiques et les lois en faveur de l’atténuation sont en hausse. On peut noter que 18 pays ont vu leurs émissions diminuées grâce au protocole de Kyoto3. En 2020, 20 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre étaient soumises à des taxes carbone ou des systèmes d’échange de droits d’émissions même si cela reste insuffisant pour réduire drastiquement les émissions.

Toutefois, si les financements destiné à l’atténuation augmente, cette croissance reste lente. De plus, les flux financiers sont inégalement répartis entre régions et secteurs.

Limiter le réchauffement climatique en misant sur la sobriété

Limiter le réchauffement climatique à 1,5°C est possible à condition d’atteindre le pic des émissions entre 2020 et 20254 et d’engager des actions d’atténuation et d’adaptation ambitieuse immédiatement. Sans autre action, le réchauffement atteindrait 3,2°C en 2100. Selon le GIEC, il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre de 43 % avant 2030 et de 84 % en 2050 par rapport à 2019 pour limiter le réchauffement à 1,5°C. Dans le scénario 2°C, la réduction est de 27 % en 2030 et 63 % en 2050. La neutralité carbone (ne pas émettre plus de gaz à effet de serre que les écosystèmes ou les technologies ne peuvent stocker) doit être atteinte en 2050 pour la limite à 1,5°C et 2070 pour 2°C. Puis dans tous les cas, les « émissions » devront être négatives.

« Si nous n’agissons pas aujourd’hui, il sera trop tard : nous ne pourrons plus limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C. Sans une réduction immédiate et radicale des émissions dans tous les secteurs, ce sera impossible. »

Jim Skea, co-président du groupe de travail III du GIEC

Une action immédiate

Dans tous les scénarios (1,5 et 2°C), la diminution des gaz à effet de serre doit être immédiate, rapide et profonde quel que soit le secteur. Pour cela , il faut se détourner des énergies fossiles au profit des énergies renouvelables. Pour limiter le réchauffement à 1,5°C, il faut laisser une quantité substantielle d’énergies fossiles dans le sol. D’ici 2050, il faudra diminuer leur utilisation  : -95 % pour le charbon, -60 % pour le pétrole et -45 % pour le gaz par rapport à 2019. Il faut aussi augmenter l’efficacité énergétique sans faire l’impasse sur la capture et le stockage du CO2 qu’il soit naturel ou technologique. En 2050, notre société doit être plus électrique, électricité fournie par les énergies renouvelables. Les bâtiments, l’industrie et le transport devront être neutre en carbone. Toutefois, toutes les stratégies d’atténuation présentent des risques technologiques pour les écosystèmes et la biodiversité.

Les zones urbaines

Si le groupe de travail 3 du GIEC propose des solutions détaillées de réductions des émissions de gaz à effet de serre pour tous les secteurs (énergie, industrie, bâtiments, transport, agriculture), je vais ici présenter les solutions pour les zones urbaines.

« Il est essentiel d’agir au cours de cette décennie pour mettre pleinement à profit le potentiel d’atténuation des bâtiments. »

Jim Skea, co-président du groupe de travail III du GIEC

Les villes sont une source d’émissions de gaz à effet de serre importante et sont un levier essentiel pour la neutralité carbone. Elles émettent entre 45 et 87 % des gaz à effet de serre mondiaux. L’urbanisation continue à progresser, surtout dans les pays en développement. Les zones urbaines devraient être multipliées par 3 en 2050. Les habitant·es des villes des pays développées produisent 7 fois plus de gaz à effet que les régions les moins émettrices.

Pour que les zones urbaines parviennent à la neutralité carbone, elles doivent diminuer leurs émissions dans et au-delà de leurs frontières. Cela passe par des villes plus compactes, le développement de transports doux (marche, vélo) et de transports en commun, une diminution de l’utilisation et de la consommation d’énergie et de matériaux.

Sobriété et changement de comportements

Le changement de comportements et la diminution de la consommation soutenue par des politiques publiques permettrait de réduire la consommation d’énergie finale de 45 % en 2050 par rapport à 2020. Cela conduirait également à réduire les émissions de gaz à effet de serre entre 40 et 70 % en 2050.

Dans son rapport, le GIEC propose la stratégie Éviter – Changer – Améliorer (Avoid – Shift – Improve, stratégie ASI). Dans le tableau ci-dessous est résumé la stratégie ASI pour le secteur de la mobilité et de l’alimentation.

SecteurÉviterChangerAméliorer
MobilitéRéduire le nombre de km par passager
ex : vacances locales, télétravail
Augmenter les options de mobilité
ex : train au lieu de l’avion
mobilités douces (marche, vélo, transport sen commun)
Innover dans la conception
ex : diminuer le poids des véhicules, éco-conduite, véhicules électriques
AlimentationRéduire les calories produites et consommées
ex : respecter les recommandations alimentaires, réduire le gaspillage alimentaire
Varier ses menus
ex : manger moins de viande et de produits laitiers au profit de sources de protéines végétales
Réduire les émissions de CO2 par calorie produite
ex : Améliorer les pratiques agricoles
Tableau : Stratégie ASI : Avoid – Shift – Improve (Eviter – Changer – Améliorer) pour le secteur de la mobilité et de l’alimentation

Dans la stratégie ASI du GIEC, les actions qui ont le plus d’impacts pour chaque catégorie sont :

  • Éviter les vols long-courrier
  • Changer pour un régime alimentaire végétarien
  • Améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments
Graphique Potentiel d'atténuation en 2050 pour l'alimentation
Potentiel d’atténuation en 2050 pour l’alimentation

Toutefois, il ne faut pas oublier que les individus les plus riches contribuent de manière disproportionnée à l’émission de gaz à effet de serre et ont le potentiel de réduction le plus haut. De plus, ils et elles jouent un rôle modèle dans la société et influencent le comportement de consommation des moins riches.

Les bénéfices de l’atténuation

Les bénéfices de l’atténuation (réduction des gaz à effet de serre) et de l’adaptation au changement climatique sont nombreux.

« Si nous opérons les bons choix en matière de politique, d’infrastructures et de technologies, nous pourrons changer nos modes de vie et nos comportements, avec à la clé une diminution de 40 à 70 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050. »

Priyadarshi Shukla, co-président du Groupe de travail III du GIEC

Tout d’abord, le coût économique de la réduction des gaz à effet de serre est bien inférieur aux coûts de l’inaction. Les options d’atténuation dont une partie est citée plus haut pourrait réduire les émissions de gaz à effet de serre de moitié d’ici 2050. Cependant, les investissements financiers sont insuffisants et devraient être multipliés par un facteur 3 à 6 pour rester sous les 2°C.

L’atténuation et l’adaptation ont pour conséquence directe une amélioration de la santé, de l’emploi, de la sécurité énergétique et alimentaire, une augmentation de la biodiversité, de la qualité des sols, de l’air…

Conclusions

Les options d’atténuation sont réalisables à court terme pour tous secteurs et pour toutes régions. Si les progrès technologiques sont indispensables à la transition, il faut tout de même prendre garde à l’effet rebond et aux atteintes possibles à la biodiversité. Mais elles doivent être intégrées dans un contexte large de développement impliquant les secteurs publics et privés, les citoyen·nes et une forte volonté politique à l’échelle locale, nationale et internationale. Le problème du financement notamment à destination des pays pauvres a été soulevé. Il est nécessaire de répondre aux besoins de justice sociale et d’équité pour une acceptation et une mobilisation de toutes les parties pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Il faut agir maintenant et vite pour rester sur une planète vivable.

Que retenez-vous de ce troisième rapport du GIEC ?

Notes :un traité international ayant pour objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

1 Les trois rapports spéciaux sont Global Warming of 1.5°C, Climate Change and Land, et The Ocean and Cryosphere in a Changing Climate.

2 Contributions nationales des pays

3 Le protocole de Kyoto est un traité international ayant pour objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

4 A la sortie du rapport, la phrase « Il nous reste 3 ans pour agir ! » a été largement diffusé. Cependant, ce raccourci est trompeur : on peut agir à tout moment donc dès maintenant mais plus on attend, plus l’objectif de 1,5°C sera difficile à atteindre et les efforts seront de plus en plus importants.

Bibliographie :

  • IPCC, 2022: Summary for Policymakers In: Climate Change 2022: Mitigation of Climate Change. Contribution of Working Group III to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [P.R. Shukla, J. Skea, R. Slade, A. Al Khourdajie, R. van Diemen, D. McCollum, M. Pathak, S. Some, P. Vyas, R. Fradera, M. Belkacemi, A. Hasija, G. Lisboa, S. Luz, J. Malley, (eds.)]
  • IPCC, 2022: Headline Statements from the Summary for Policymakers. In: Climate Change 2022: Mitigation of Climate Change. Contribution of Working Group III to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [P.R. Shukla, J. Skea, R. Slade, A. Al Khourdajie, R. van Diemen, D. McCollum, M. Pathak, S. Some, P. Vyas, R. Fradera, M. Belkacemi, A. Hasija, G. Lisboa, S. Luz, J. Malley, (eds.)]
  • PCC, 2022: Tecnical Summary. In: Climate Change 2022: Mitigation of Climate Change. Contribution of Working Group III to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [P.R. Shukla, J. Skea, R. Slade, A. Al Khourdajie, R. van Diemen, D. McCollum, M. Pathak, S. Some, P. Vyas, R. Fradera, M. Belkacemi, A. Hasija, G. Lisboa, S. Luz, J. Malley, (eds.)]
  • Le compte Twitter de Valérie Masson-Delmotte

L’ensemble des rapports du groupe de travail 3 du GIEC est accessible en ligne.

Photo de couverture : IPCC WG3, Matt Bridgestock, Director and Architect at John Gilbert Architects

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