Biodiversité Climat

Faut-il avoir peur du déclin des insectes ?

Depuis quelques années, les scientifiques nous alertent sur le déclin des insectes. A titre individuel, nous avons aussi pu le constater : le nombre d’insectes écrasés sur les pare-brises est devenu anecdotique au fil des années. Alors pourquoi le nombre d’insectes diminue ? Peut-on vivre dans un monde sans insectes ? Que peut-on faire pour les attirer dans notre jardin ou sur notre balcon ? Mais tout d’abord passons en revue les services rendus par les insectes.

Source : Wikimedia commons

Ces mal-aimés qui nous rendent tant de services

A première vue, les insectes sont des animaux mal-aimés. Ils piquent et peuvent transmettent des maladies quand on pense aux guêpes, aux frelons ou aux moustiques. Les doryphores dévorent les feuilles de pommes de terre et les pucerons nos pieds de fèves. Quant aux mouches et aux fourmis, on n’en parle même pas. Seuls les papillons pour leur beauté trouvent grâce à nos yeux sans oublier les abeilles domestiques, car elles nous fournissent du miel !

Pourtant toutes ces familles d’insectes nous rendent des services infiniment précieux comme la pollinisation, le recyclage de la matière organique, le contrôle biologique des ravageurs et servent de nourriture pour de nombreux vertébrés, notamment les oiseaux.

La pollinisation

Il n’y a pas que notre abeille à miel, Apis melifera, qui pollinise les plantes à fleurs. Les pollinisateurs sont nombreux. On peut citer les abeilles sauvages, les bourdons, les guêpes et les frelons, les fourmis, les papillons, les coléoptères, les mouches…

70 à 90 % des plantes à fleurs, c’est à dire quelques 250 000 espèces, dépendent au moins en partie de la pollinisation animale pour leur fécondation

Colin Fontaine, biologiste, chercheur en écologie au CNRS et au Muséum national d’Histoire naturelle

Les chiffres varient d’une étude à une autre mais environ 80 % des plantes sauvages dépendent partiellement des pollinisateurs et 50 % totalement pour leur reproduction1. Notre alimentation est donc fortement liée à la pollinisation par les insectes. Ainsi, 75 % des cultures alimentaires mondiales ont besoin des insectes pour être pollinisées. Cela représente environ 10 % de la valeur économique de ce secteur2. Sans insectes, plus de cacao ou de café et des rendements en baisse pour des cultures comme le colza. Trois milliards d’humains se nourrissent d’espèces sauvages et sont assujettis à la pollinisation par les insectes3.

Le recyclage de la matière organique

Les insectes participent aussi au recyclage de la matière organique. Ils décomposent les feuilles et le bois. Ils sont un maillon essentiel de l’élimination des excréments et des charognes. Sans leur action, les matières mortes s’accumuleraient et les sols ne seraient plus fertiles4. Par exemple, l’Australie a importé dans les années 60 des bousiers africains pour se débarrasser des bouses de vaches accumulées depuis le 18ème siècle. Ces excréments menaçaient de faire disparaître les prairies du pays. Il existe bien des bousiers autochtones mais spécialisés dans la crotte de marsupial, incapables de traiter les fèces humides des bovins.

Le contrôle biologique des ravageurs

On estime que 1 % des insectes sont vecteurs de maladies pour les êtres humains et 1 % sont des ravageurs de cultures1. Si le nombre d’espèces d’insectes ravageurs est faible, ils peuvent néanmoins altérer la santé humaine et causer des dégâts importants en agriculture.  Mais les insectes sont aussi la solution pour lutter contre ces nuisibles et dans le même temps diminuer le recours aux pesticides : c’est la lutte biologique. Ainsi, les coccinelles et les syrphes régulent les populations de pucerons dans nos jardins.

L’alimentation de nombreux vertébrés

Les insectes sont aussi une source de nourriture pour les oiseaux, les chauve-souris, les amphibiens et certains mammifères… La disparition des insectes entraîne aussi la la disparition des oiseaux insectivores1. Ces derniers participent également à lutter comte les insectes nuisibles. C’est un cercle vicieux.

Illustration de Adolphe Millot dans Larousse pour tous. Source : Wikimedia Commons

Petite histoire des insectes

Les insectes font partie de la famille des arthropodes. Ils possèdent trois paires de pattes et deux paires d’ailes. Apparus il y a 400 millions d’années, ce sont les premiers animaux à avoir coloniser la terre. Ils se sont diversifiés avec l’arrivée des plantes à fleurs, il y a 100 millions d’années au Crétacé6. La famille des insectes représente environ 50 % de tous les organismes vivants connus sur Terre et entre 75 % à 85 % du règne animal3,4,5. Les principaux ordres, parmi les 28 des insectes sont :

  • les diptères : mouches, moustiques
  • les coléoptères : scarabées, coccinelles…
  • les lépidoptères : papillons
  • les hyménoptères : abeilles, guêpes, fourmis
  • les orthoptères : criquets, grillons, sauterelles
  • les dictyoptères : blattes, termites et mantes
  • les odonatoptères : libellules, demoiselles
  • les hémiptères : cigales, punaises

Les naturalistes ont identifié·es environ 1,4 millions d’espèces mais 80 % sont encore inconnues, essentiellement sous les tropiques. Les scientifiques estiment qu’il y aurait plus de 5 millions d’espèces d’insectes sur Terre7. Les insectes vivent principalement dans les milieux terrestres et d’eau douce.

Mesurer le déclin des insectes

Étude après étude, le constat est le même : les populations d’insectes déclinent. L’observatoire de la biodiversité constate que 66 % des papillons de jour ont disparu dans au moins un département français au cours des 20 dernières années. Au Royaume-Uni, une étude conjointe du Kent Wildlife Trust et de The Invertebrate Conservation Truste (Buglife) monte que le nombre d’insectes volants a chuté de près de 60 % entre 2004 et 20218. Ce programme de sciences participatives original permettait de compter le nombre d’insectes écrasés sur les plaques d’immatriculation de conducteurices volontaires. En Allemagne le constat est le même. En 27 ans, les scientifiques ont mesuré que la biomasse des insectes a chuté de 75 % dans des zones protégées9.

Source : Observatoire Nationale de la Biodiversité

Il est difficile de connaître l’ampleur réel du phénomène car la plupart des études scientifiques sont réalisés en Europe10. De plus, cela ne fait qu’une vingtaine d’années que ces recherches sont entreprises. Les données sont partielles mais dans son rapport, le Sénat estime que le déclin a commencé au début du 20ème siècle, s’est accéléré dans les années 1950-1960 et atteint des proportions alarmants depuis 20 ans1. Le déclin des insectes reste difficile à évaluer avec précision. Les études concernent souvent une petite partie des espèces : abeilles, papillons, coléoptères. Mais malgré les difficultés de recensement, le constat est le même : les insectes disparaissent dans l’indifférence presque général, partout dans le monde10.

Carte représentant la localisation de 73 études sur le déclin des insectes. (Référence 10)

Les causes de ce déclin

Les causes du déclin des insectes sont multiples mais l’agriculture intensive et industrielle est la cause principale de ce désastre1. L’utilisation massive de pesticides dont les néonicotinoïdes est pointée du doigt. On peut aussi citer le changement d’usages des terres entraînant la perte d’habitation, le remembrement avec l’arrachage des haies. On observe aussi la diminution des fleurs sauvages à proximité des champs, notamment les messicoles11.

Principales causes, processus et mécanismes de mortalité des Insectes. (Référence 4)

L’urbanisation et la pollution lumineuse sont également néfastes pour les insectes. Leur habitat se réduit et se fragmente. Enfin, le changement climatique affecte les insectes. On peut observer un décalage entre le calendrier des pollinisateurs et des plantes. Ils ne trouvent plus ou pas assez de fleurs à butiner. L’augmentation de la température, la sécheresse, le manque d’eau impactent aussi considérablement ces animaux. Les espèces envahissantes comme le frelon asiatique ou la coccinelle asiatique sont également une menace.

Les espèces généralistes, celles qui ont plusieurs générations par an ou les espèces mobiles sont moins touchées. Au contraire, les espèces spécialistes, dépendantes d’un seul type d’habitat, qui ont besoin d’une plante hôte spécifique ou qui ont des sites de nidification ou d’hivernage caractéristiques sont plus exposées.

Que puis-je faire ?

Un·e Français·e sur deux a accès à un jardin ou un espace vert privatif. A titre individuel, vous pouvez donner plus de place à la biodiversité et aux insectes. Que vous ayez un jardin ou un balcon, vous pouvez appliquer tout ou partie des conseils suivants12,13 :

  • Convertir sa pelouse en habitat naturel en tondant moins par exemple. Vous pouvez participer au challenge NoMowMay qui consiste à ne pas tondre au mois de mai. Il est possible de faire une tonte sélective. Les herbes folles et/ou hautes ne sont pas sales. Cela ne signifie pas que votre jardin n’est pas entretenu.
  • Semer des plantes à fleurs sauvages dans votre jardin ou sur votre balcon.
  • Si l’utilisation de pesticides est interdite pour les particuliers, des alternatives bios existent. Utilisez-les avec parcimonie si la nature ne s’est pas chargée du problème. Plus un jardin accueille de biodiversité, moins les insectes ravageurs pullulent. Vous pouvez aussi privilégier les insectifuges aux insecticides.
  • Ne laisser pas votre jardin éclairer en permanence. Optez pour les détecteurs de présence.
  • Éviter de répandre des polluants dans votre jardin comme les savons de lavage pour les véhicules ou les terrasses. Opter pour des solutions bios. On évitera aussi de renverser de l’essence (celle de la tondeuse). De même pour le sel de déneigement (sauf si indispensable bien sûr!)
  • Proposer un accès à l’eau pour les insectes ainsi qu’une nourriture suffisante et diversifiée.
  • Créer des refuges pour les insectes (hôtel à insectes, tas de bois, de feuilles, espaces de terre nue et bien exposée)
  • Soutenez l’agriculture sans pesticides en achetant des produits bios, Nature et Progrès…
  • Apprendre à reconnaître et aimer les insectes en utilisant des applis sur votre smartphone ou participer à des sorties nature.
Caractéristiques environnementales locales pouvant nuire ou être bénéfiques aux insectes. D’après 13.

En collectif, vous pouvez rejoindre :

  • des jardins partagés ou les incroyables comestibles
  • Participer à la plantation de haies
  • Soutenir l’agroécologie
  • Protéger et défendre les zones humides
  • Soutenir des associations de défenses de la nature

Avez-vous conscience du déclin des insectes ?

Bibliographie :

1 Le déclin des insectes, Rapport du Sénat, 2021

2 Dirzo R. et al., Défaunation in the Antropocène, Science, 345, 2014

3 Insectes : alerte disparition, La science, CQFD, France Culture, 2022

4 Le déclin des insectes : il est urgent d’agir, Comptes Rendus Biologies, Académie des Sciences

5 Fabrice Requier et Olivier Dangles, Les insectes, ces super-héros, The conversation, 2020

6 Jactel et al., Le déclin des insectes : il est urgent d’agir, Comptes Rendus Biologies, Académie des sciences, 343, 2020

7 Nigel E. Stork, How many species of insects and other terrestrial arthropods are there on Earth ?, Annual Review of Entomology, 63, 2018

8 Ball et al., The Bugs Matter Citizen Science Survey : counting insect ‘splats’ on vehicle number plates reveals a 58.5 % reduction in the abundance of actively flying insects in the UK between 2004 and 2021, Tecnical Report, Buglife, Kent wildlife trust, 2022

9 Hallmann C. ; A. et al., More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas, Plos One, 12, 2017

10 Wagner D. L., Insect declines in the Anthropocène, Annual Review of Entomology, 65, 2020

11 Une plante messicole est une plante qui vit préférentiellement dans les cultures comme les coquelicots

12 Kawahara A. Y. et al, Eight simple actions that individuals can take to save insects from global declines, PNAS, 118, 2021

13 Harvey J. A. et al, Scientists’ warning on climate change and insects, Ecological Monographs, 2022

Crédit photo : David Clode (Unsplash) pour la photo de couverture

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