La découverte de l’effet de serre est la plupart du temps attribué au Français Joseph Fourier ou à l’Irlandais John Tyndall. Mais en 2011, grâce à la perspicacité d’un géologue américain, Raymond P. Sorensen1, les travaux de Eunice Foote sont redécouverts et ont permis de lui attribuer également les bases de la découverte de l’effet de serre. L’oubli de cette dernière dans l’histoire des sciences est un parfait exemple de l’effet Matilda.
Connaissez-vous l’effet Matilda ?
Théorisé par l’historienne des sciences Margaret W. Rossiter, l’effet Mathilda2 est l’effacement des découvertes scientifiques faites par des femmes dans l’histoire des sciences et ce, de façon systématique et récurrente. Comment procède-ton ? On attribue leur découverte à des hommes, on les oublie pour le prix Nobel, on minimise ou on dénigre leur travail scientifique… Les effets Matilda sont nombreux et ce depuis très longtemps. Magaret W. Rossiter trouve un exemple dès le Moyen Âge. Trotula de Salerne, femme médecin et chirurgienne est l’autrice du livre Le Soin des maladies des femmes qui sera par la suite attribué à des hommes !
Alors pour redonner une place dans l’histoire aux femmes scientifiques, je vous propose de redécouvrir le travail de ces femmes. Aujourd’hui, place à Eunice Foote, une scientifique américaine du 19ème siècle qui a découvert les bases de l’effet de serre. Elle publia en 1856 un article intitulé Circumstances Affecting the Heat of the Sun’s Rays dans le journal American Journal of Science and Arts.
L’histoire de la découverte de l’effet de serre
Retracer l’histoire de la découverte de l’effet de serre n’est pas simple. Au 19ème siècle, les physiciens, notamment en Europe, s’intéressent particulièrement à l’influence du rayonnement solaire et de l’atmosphère sur la température de la Terre. Et de nombreux articles sont publiés sur ce thème à partir des années 1820. Cependant deux noms ressortent : celui de Joseph Fourier (1768 – 1830) en France et celui de John Tyndall (1820 – 1893) dans les pays anglophones. Alors qui a découvert l’effet de serre et pourquoi Eunice Foote a été oubliée ?
Qu’est-ce que l’effet de serre ?

L’effet de serre est un processus naturel. Le rayonnement solaire traverse l’atmosphère et une partie est absorbée par la surface terrestre qui se réchauffe. A son tour, une fraction de cette chaleur est émise sous forme de rayonnement infrarouge vers le ciel. La présence de l’atmosphère, et notamment de vapeur d’eau et de dioxyde de carbone, bloque une portion de ces rayonnements infrarouges sur Terre qui permet à son tour de la réchauffer. C’est l’effet de serre naturel. Il permet d’avoir une température moyenne de 15°C au lieu de -18°C en l’absence d’atmosphère.
Les gaz comme le méthane CH4, l’oxyde d’azote N2O, les gaz fluorés (HFC, PfC, SF6…) en plus de la vapeur d’eau et du dioxyde de carbone CO2 vont absorber eux-aussi le rayonnement infrarouge. Comme précédemment, une partie est réémise vers la Terre. La quantité de rayonnement infrarouge renvoyée vers la Terre augmente entraînant ainsi l’augmentation de la température. C’est l’effet de serre additionnel Plus la quantité de gaz à effet est importante dans l’atmosphère, plus la chaleur reste emprisonnée sur Terre.
Joseph Fourier, le premier découvreur de l’effet de serre en 1824 ?

Sur le site internet de l’Institut des Géosciences de l’Environnement (IGE), on peut lire que Joseph Fourier est le découvreur de l’effet de serre. « C’est le grand physicien français Joseph Fourier (1768 – 1830) qui, dans son Mémoire sur les températures du globe terrestre et des espaces planétaires, publié en 18273, signe l’acte de naissance de la théorie de l’effet de serre. » Si Joseph Fourier décrit les bases du principe de l’effet de serre d’un point de vue théorique, en faire le seul découvreur est un très gros raccourci. Cependant, il est le premier à montrer que la présence d’une atmosphère sur Terre permet de la réchauffer. Mais dans son Mémoire, nulle mention n’est faite du rôle de la vapeur d’eau ou des gaz comme le dioxyde de carbone ou le méthane sur l’augmentation de la température globale de la Terre4.
John Tyndall, la mise en évidence des gaz à effet de serre en 1859
Les Anglo-Saxons attribuent la découverte de l’effet de serre à John Tyndall, un physicien irlandais. A partir de 1859, il s’intéresse à l’absorption de la chaleur par certains gaz comme la vapeur d’eau, le dioxyde de carbone, l’ozone, les hydrocarbures. Il déduit de ces travaux que la vapeur d’eau, un des gaz de l’atmosphère, est un puissant « absorbeur de chaleur et qu’elle contrôle la température de surface de la Terre. » Il émet aussi l’hypothèse que les changements climatiques du passé auraient pour origine la variation du taux de vapeur d’eau ou de dioxyde de carbone dans l’atmosphère5,6. John Tyndall serait donc le premier découvreur de l’effet de serre avant que l’on redécouvre les travaux d’Eunice Foote.

Eunice Foote, la grande oubliée de la découverte de l’effet de serre
Raymond P. Sorensen déterre, en faisant des recherches dans d’anciennes revues scientifiques, un résumé d’un article d’Eunice Foote publié dans Annual of Scientific Discovery de 18571. Ses travaux ont été initialement présentés lors de la 10ème réunion annuelle de l’Association Américaine pour l’Avancement des Sciences (AAAS) à Albany en 1856. Lors de cette assemblée, ce n’est pas Eunice Foote, elle-même, qui présenta son travail. Il a été lu par Joseph Henry de la Smithsonian Institution. La retranscription est disponible dans l’article de Sorensen. A noter tout de même qu’elle publia, sous son nom, son travail sur l’influence de la vapeur d’eau et du dioxyde de carbone sur la température dans le journal American Journal of Science and Arts dans un article intitulé « Circumstances affecting the heat of the Sun’s rays »7. Cet article est aujourd’hui facilement accessible en ligne. Eunice Foote aurait donc découvert l’effet de serre, même si elle n’utilise pas ce terme, trois ans avant John Tyndall.
Qui est Eunice Foote ?

Eunice Newton est née en le 17 juillet 1819 à Goshen, Connecticut puis grandit à Bloomfield, New York. Elle suit des études scientifiques à la Troy Female Seminary puis dans un « college » réservé aux hommes où elle se perfectionne en chimie et en biologie. En 1841, elle épouse Elisha Foote, un spécialiste des droits des brevets qui deviendra juge. Militante des droits des femmes, elle est membre de la première convention des droits des femmes en 1848 à Seneca Falls et une des rédactrices ainsi que la signataire de la Déclaration des Sentiments construite sur le modèle de la Déclaration d’Indépendance des États-Unis. Les signataires demandent le droit pour les femmes d’accéder au statut plein et entier de citoyenne des États-Unis d’Amérique. De sa carrière scientifique, on ne retrouve que deux articles publiés : un sur l’influence de la vapeur d’eau et le dioxyde de carbone sur la température terrestre et le climat, l’autre sur l’impact de l’humidité et de la composition gazeuse sur la capacité de l’air à générer de l’électricité statique. Elle meurt le 30 septembre 1888.
Alors pourquoi les travaux d’Eunice Foote n’ont pas eu plus de retentissements ?
Après l’article de Raymond P. Sorensen paru en 2011, on peut retrouver des mentions du travail de Eunice Foote en 2016 dans un article de Climate Home News puis dans un article du Smithsonian Magazine. Dans ce dernier, le mot sexisme est ouvertement prononcé montrant ainsi qu’Eunice Foote est une nouvelle victime de l’effet Matilda. En 2019, le travail de Roland Jackson et Joseph D. Ortiz permettent une nouvelle fois de mettre en lumière ses recherches et expliquent leur disparition de l’histoire des sciences dans deux articles8,9.
La première présentation des travaux d’Eunice Foote
En 1856, lors de la 10ème réunion annuelle de l’AAAS à Albany, le mari d’Eunice Foote, Elisha Foote a également présenté ses travaux10 sur le même thème que celui d’Eunice. Contrairement à sa femme, il a pu s’exprimer publiquement pour défendre ses recherches. Si leurs travaux respectifs ne sont pas publiés dans les compte-rendus de la réunion de AAAS de 1856, ils sont néanmoins publiés dans une autre revue, American Journal of Science and Arts dans deux articles qui se suivent. La question est de savoir si John Tyndall aurait pu avoir connaissance des travaux d’Eunice Foote. Enfin, on peut se demander si les travaux d’Elisha Foote n’a pas perturbé la diffusion des travaux de sa femme.
Rappelons qu’Eunice Foote est une femme, une scientifique « amatrice » travaillant aux Etats-Unis et que John Tyndall est un physicien reconnu, détenteur d’un doctorat de l’université de Marbourg (Allemagne), travaillant dans un laboratoire de la Royal Institution de Londres et reconnu par ses pairs. De plus, leurs conditions de travail sont diamétralement opposées, John Tyndall ayant accès à du matériel beaucoup plus sophistiqué qu’Eunice Foote.
La piètre diffusion des recherches d’Eunice Foote
Après la publication dans American Journal of Science and Arts, les travaux d’Eunice Foote sont repris dans diverses publications en Amérique du Nord : New York Daily Tribune, Canadian Journal of Industry, Science and Art, and Scientific American. Ces travaux sont de suite minimisés, aucun homme n’ayant pris conscience de l’importance de ceux-ci. Cependant, les deux chercheurs, Jackson et Ortiz, retrouvent deux mentions de ses travaux (sans que son article soit entièrement republié) dans des journaux européens : une en Grande-Bretagne dans Edinburgh New Philosophical Journal de 1857 sous le nom de Mrs Elisha Foote et une dans Jahresbericht en 1856 sous son nom propre mais en omettant ses conclusions sur le climat. On peut noter aussi que l’article de son mari, Elisha Foote, a été intégralement re-publié dans Philosophical Magazine en 1857 contrairement à celui d’Eunice Foote alors que ces travaux ont beaucoup moins d’intérêt.
Alors John Tyndall aurait-il pu avoir connaissance des travaux d’Eunice Foote ? Il semblerait que non. Tout d’abord la communauté scientifique américaine est petite et peu considérée outre Atlantique, ensuite parce que la communication et les voyages entre les deux cotés de cet océan est rare et difficile. Mais c’est bien le fait d’être une femme qui a influencé la non reconnaissance de ces travaux.

Parce qu’elle est une femme, le travail d’Eunice Foote a été minimisé
Outre sa statut de chercheuse amatrice, c’est bien son genre qui a contribué a minimisé les recherches d’Eunice Foote. Ne pouvant pas défendre son travail lors de la 10ème réunion annuelle de l’AAAS, il a aussi été mal diffusé : peu ou pas de republication dans des journaux d’intérêt contrairement à ceux de son mari pourtant moins qualitatifs, des attributions erronées (Mrs Elisha Foote et non Mrs Eunice Foote), des conclusions importantes qui disparaissent. De plus, seulement deux articles de physique ont été écrits par des femmes avant 1889, les deux d’Eunice Foote, l’article sur l’effet de serre en 1856 et un article sur l’électricité statique en 185711 d’après le livre de Mary Creese Ladies in the laboratory? American and British women in science, 1800 –1900: a study of their contribution to research cité dans l’article de Roland Jackson8. La physique américaine de cette époque était peu reconnue par les Européen·nes. Les femmes scientifiques, physiciennes qui plus est, étaient peu nombreuses et leurs travaux peu reconnus. Enfin aucun homme qui a lu ou retranscrit son travail n’en a compris la véritable portée.
Vers une réhabilitation d’Eunice Foote pour ces travaux sur l’effet de serre
La découverte de l’effet de serre est un processus long qui débute dès les années 1820 avec les travaux de Joseph Fourier. Si John Tyndall a permis de comprendre la physique de l’effet de serre, les travaux d’Eunice Foote ont contribué à l’émergence de ce concept. En effet, elle a été la première à réaliser des expériences montrant l’absorption de la chaleur par la vapeur d’eau et le dioxyde de carbone, que l’on nomme aujourd’hui gaz à effet de serre. Elle a aussi été la première à comprendre que la modification de la teneur de ces gaz dans l’atmosphère pourrait affecter la température terrestre et le climat.
Il est donc temps de redécouvrir les travaux d’Eunice Foote et de les inscrire dans l’histoire de la découverte de l’effet de serre car ils y ont pleinement leur place. Ses recherches ont été aujourd’hui reconnues dans les pays anglo-saxons par l’American Association for the Advancement of Science (AAAS) en 2020 contrairement à la France où son nom n’est pas cité.
Connaissez-vous Eunice Foote ou l’effet Matilda?

Bibliographie :
1 Raymond P. Sorenson, Eunice Foote’s Pioneering Research on CO2 and Climate Warming, Search and Discovery, 2011
2 Effet Matilda, Wikipédia, consulté le 22/03/2022
3 Le Mémoire a été publié une première fois en 1824 dans les Annales de Chimie et de Physique, puis republiés en 1827, dans les Mémoires de l’Académie Royale des Sciences de l’Institut de France, dans une version légèrement modifiée. Voir référence 4.
4 Jean-Louis Dufresne, Jean-Baptiste Joseph Fourier et la découverte de l’effet de serre, La Météorologie, Météo et Climat, 2006, 53, pp. 42-46.
5 James Rodger Fleming, Joseph Fourier, the ‘greenhouse effect’, and the quest for a universal theory of terrestrial temperatures, Historical Perspectives on Climate Change (New York and Oxford: Oxford University Press, 1998)
6 Mike Hulme, On the origin of « the greenhouse effect » : John Tyndall’s 1859 interrogation of nature, Weather, 2009, Vol. 64, No. 5
7 Eunice Foote, Circumstances affecting the heat of the sun’s rays, Am. J. Sci. Arts 22, 382–383 (1856).
8 Roland Jackson, Eunice Foote, John Tyndall and a Question of Priority, Notes and Records, The Royal Society Journal of the History of Science, 2020, 74, pp. 105-118
9 Joseph D. Ortiz and Roland Jackson, Understanding Eunice Foote’s 1856 experiments : heat absorption by atmospheric gases, Notes and Records, The Royal Society Journal of the History of Science, 2022, Vol. 76, Issue 1
10 Elisha Foote, On the heat in the sun’s rays, Am. J. Sci. Arts 22, 377–381 (1856).
11 Mrs. Elisha Foote, On a new source of electrical excitation, Am. J. Sci. Arts 24, 386 (1857) puis dans Phil. Mag. 15, 239–240 (1858).
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