Plantes tropicales à Feuilles Vertes
Biodiversité

La surexploitation des végétaux sauvages

Qu’en ont commun l’argan, l’encens, le genévrier, la gomme arabique, le karité, les noix du Brésil ou la réglisse ? Ce sont tous et toutes des plantes sauvages ou semi-sauvages qui trouvent une utilisation dans notre quotidien. On retrouve les ingrédients issus de ces plantes dans notre alimentation, dans nos produits cosmétiques ou dans nos médicaments. Hors la demande a explosé ces 20 dernières années. Dans ce contexte, la FAO en collaboration avec l’ONG TRAFFIC et l’UICN nous alerte sur la surexploitation des végétaux sauvages1.

Les végétaux sauvages indispensable à des millions de personnes

80 % de la biomasse terrestre totale est constitué de végétaux. Un cinquième des 60 000 espèces d’arbres fournissent aux animaux humains et non humains nourriture, médicaments, abris et oxygène. Les végétaux sauvages sont utilisés traditionnellement par les communautés locales depuis des générations. Ils sont aussi une source de revenus essentiels pour des millions de personnes parmi les plus vulnérables à travers le monde. 1,2 milliards de personnes sous les tropiques restent très dépendantes de la nature pour satisfaire leurs besoins humains fondamentaux2. Ce sont souvent des personnes pauvres, généralement des femmes, vivant en milieu rural, des personnes marginalisées, des minorités ethniques ou des peuples indigènes. Le travail de récolte impliquent souvent des enfants ou des personnes âgées.

Ces végétaux sauvages proviennent d’écosystèmes riches en biodiversité. Des milliers de produits contiennent des ingrédients obtenus à partir de plantes sauvages. 60 à 90 % des espèces sauvages commercialisées proviennent de cueillettes sauvages. Hors la demande en ingrédients issus de plantes sauvages augmente, +75 % en valeur depuis 20 ans. Un regain d’intérêt a émergé avec la crise du covid-19 avec un attrait pour le naturel.

Les consommateur·ices ignorent souvent la présence de végétaux sauvages dans leurs produits du quotidien. Il apparaît aussi que les entreprises ne se soucient pas toujours de la provenance, de la traçabilité de leurs ingrédients ou de payer un prix juste aux cueilleurs·ses. 21 % des plantes médicinales et aromatiques sont menacées dont 9 % menacées d’extinction. La surexploitation, la dégradation des écosystèmes ou le réchauffement sont une menace pour ces plantes. Leur disparition ou leur raréfaction affecteraient grandement les personnes qui en dépendent pour leurs revenus. La FAO a donc voulu nous alerter sur ces risques en mettant en avant 12 espèces « vedettes »3 représentatives des risques biologiques et sociales mais aussi représentatives de leurs utilisations, de leurs menaces et de leurs opportunités. Sur ces 12 espèces, 7 proviennent d’Afrique, 2 sont gravement ou quasi menacées, 5 sont vulnérables, 2 ont une préoccupation mineure et 3 ne sont pas évaluées. Sur les 12 plantes sauvages présentées dans le rapport, j’ai choisi de vous en décrire 6.

La cécité botanique ou Plant Blindness

La cécité botanique ou Plant Blindness est un biais cognitif. Il a été défini par Wandersee et Schussler4 en 1999 comme « l’incapacité de voir ou de remarquer les plantes dans son propre environnement, ce qui conduit à l’incapacité de reconnaître l’importance des plantes dans la biosphère et dans les affaires humaines. » Les deux auteur·ices font également référence au « classement erroné, anthropocentrique des plantes comme inférieures aux animaux, conduisant à la conclusion erronée qu’elles ne sont pas dignes de considération humaine. »

Ce problème est surtout visible dans les pays riches où nous sommes bien souvent couper de notre lien avec la nature. Apprendre à reconnaître et à nommer les plantes, participer à des sorties botaniques, apprendre à cuisiner les plantes sauvages sont des bons moyens pour lutter contre la cécité botanique. Les femmes seraient moins sensibles à ce biais cognitif que les hommes.

Six plantes sauvages menacées

1. L’argan

Fruit de l'arganier vert et encore sur sa branche
Crédit photo : Symel via Pixabay

Le Maroc est le seul pays exportateur d’huile d’argan mais les arganiers sont aussi présents en Mauritanie, en Algérie et dans l’ouest du Sahara. L’huile d’argan est surtout connue pour ses propriétés anti-âge en cosmétique mais elle est aussi utilisé comme médicament pour traiter l’acné ou l’arthrite. Elle est aussi consommée en cuisine.

La collecte des fruits de l’arganier tombés au sol est effectué essentiellement par des femmes de la minorité berbère, souvent regroupées en coopératives. La collecte et la transformation des fruits en huile fait vivre 3 millions de personnes dont 2,2 millions en zone rurale. Cependant, il y a un déséquilibre entres les coopératives locales marocaines et les entreprises exportatrices qui déteignent 60 % du marché tandis que la demande en Europe et en Amérique du Nord est très forte. Les risques sociaux mis en évidence par la FAO est le travail des enfants, des salaires bas, de longues journées de travail (10 à 12 h) et des discriminations envers les femmes des minorités ethniques.

Selon l’UICN, l’arganier, qui pousse à l’état sauvage, est classé comme menacé. Les principales menaces sont la réduction des habitats, la surexploitation des arganiers, le changement climatique avec la hausse des températures et les sécheresses.

La protection des arganiers permet de protéger tout un écosystème : 1/3 de la flore marocaine est liée à ces forêts. Il a aussi un rôle majeur contre la désertification. L’exploitation de l’huile d’argan soutient des communauté de femmes et préserve un savoir-faire traditionnel ancestral.

2. Le beurre de karité

noix de karité
Crédit photo : Amuzujoe via Wikimedia Commons

Le karité, un arbre de la même famille que l’arganier, pousse de l’Ouganda au Sénégal. La « shea belt » est longue de 6 000 kilomètres et large de 500 kms. On le retrouve principalement à l’état sauvage dans les savanes sèches et les régions boisées. L’UICN le classe dans les espèces menacées. Le karité commence à donner des fruits à partir de 15 ans et pendant 45 ans mais il peut vivre 200 à 300 ans. De ses noix, on tire le beurre de karité, utilisé en cosmétique et en alimentation comme substitut du beurre de cacao.

La récolte des fruits du karité est saisonnière, d’avril à août. Le beurre de karité est produit par des femmes et procure un revenu pour 3 millions d’entre elles. Cette production, qui nécessite peu d’investissement, permet l’autonomie des femmes et diminue la pauvreté. Au Ghana, le revenu mensuel moyen des personnes travaillant dans le karité est de 73 % supérieur au revenu moyen national.

La récolte des noix de karité n’est pas sans risque. Les femmes peuvent être victimes de morsures de serpents ou d’animaux lorsqu’elles accèdent aux arbres. La production de beurre de karité nécessite de l’eau et du bois de chauffage. Les femmes doivent parcourir de longues distances pour y accéder. Elles peuvent aussi être discriminées lorsqu’elles possèdent et exploitent les terres.

La surexploitation, la régénération lente, la production de charbon de bois, la pression humaine ou le changement climatique sont les principales menaces qui pèsent sur le karité. Mais les arbres à karité peuvent participer à la restauration des écosystèmes et sont utilisés pour la grande muraille verte.

Les labels de certification

Il existe plusieurs types de certification qui peuvent s’appliquer aux plantes sauvages. Par exemple :

  • Forest Stewardship Council (FSC)
  • Rainforest Alliance
  • Fair for Life
  • Fair Trade
  • The Union of Ethical Biotrade (UETB)
  • le label bio européen

Le label FairWild est un label spécifique aux récoltes sauvages afin qu’elles soient socialement, écologiquement et économiquement soutenables. Pour l’instant, il certifie 24 plantes provenant de 13 pays : Somalie, Bulgarie, Espagne, Georgie, Kazakhstan, Hongrie, Pologne, Serbie, Salvador, Inde, Zimbabwe, Népal et Bosnie-Herzégovine.

En France, il existe l’association française des professionnels de la cueillette de plantes sauvages (AFC). Elle a édité une charte et un guide des bonnes pratiques de cueillette de plantes sauvages.

3. La gomme arabique

Gomme arabique dans une pelle en inox
Crédit photo : Hawa Rahma via Wikimedia Commons

La gomme arabique est issue de la sève d’acacias poussant à l’état sauvage dans une grande partie de l’Afrique subsaharienne. Utilisée comme additif dans l’industrie alimentaire et pharmaceutique (connu sous le nom de E414), la gomme arabique est récoltée par des familles ou des travailleur·ses saisonnier·ères. C’est un moyen pour les petit·es paysan·nes et les éleveur·ses à faibles revenus d’augmenter leurs revenus pendant la basse saison.

Les risques sociaux liés à la récolte de la gomme arabique sont élevés au Tchad, au Soudan et au Nigéria. Le travail des enfants, le travail forcé, les faibles salaires concernent surtout les personnes vulnérables, marginalisées notamment les femmes.

Le statut de conservation de l’acacia est non évalué mais l’arbre est menacé par le surpâturage, la surexploitation et le changement climatique. Les acacias sont plantés sur la grande muraille verte. Ils permettent aussi de protéger d’autres espèces et d’accroître leur productivité.

4. Le genévrier

Fruits de genévrier bleu encore sur leur branche
Crédit photo : Alexey Kurilowich via Unsplash

Le genévrier est une plante sauvage mais est aussi cultivée en Europe et en Amérique du Nord. Il est bien connu pour être un ingrédient du gin. On l’utilise aussi comme arôme dans l’industrie alimentaire, comme parfum en cosmétique. C’est un remède traditionnel utilisé en médecine.

L’Europe centrale est la principale région de cueillette mais elle décline depuis les années 50. Les populations discriminées comme les Roms, les personnes âgées, les femmes ou les chomeur·ses risquent de subir de l’exploitation humaine. Cependant, le déclin de la cueillette sauvage des baies de genévrier entraîne une perte de connaissance des techniques traditionnelles et peuvent conduire à des pratiques de récolte non soutenables.

Il n’y a de menace globale sur le genévrier mais sa population décline dans certaines parties de son aire de répartition. Sa régénération est lente. La perte de pâturage est une des menaces identifiées.

5. Les noix du Brésil

tas de noix du Brésil pas encore décortiquées
Crédit photo : CIFOR Via Flickr

Le noyer du Brésil est un arbre qui appartient à l’écosystème complexe de la forêt amazonienne. Les noix du Brésil sont principalement utilisées en alimentation. Elles sont récoltées principalement au Brésil, en Bolivie et au Pérou pendant le saison des pluies, généralement de décembre à début mars. La cueillette est très technique et se fait en pleine forêt nécessitant la construction de routes avant la récolte.

Au Brésil et en Bolivie, les risques sociaux identifiés sont importants. Le travail des enfants et l’esclavage moderne y sont documentés. En 2020, le Brésil est classé comme un des 10 pays les pires pour les travailleur·euses avec des violations des droits du travail récurrentes. La récolte des noix du Brésil entraîne aussi des dangers comme les morsures d’animaux, la chute des noix (elles font 2 kg et tombent de 35 mètres), l’utilisation d’eau non potable dans les camps.

Le noyer du Brésil qui pousse à l’état sauvage est classé comme vulnérable par l’UICN et fait face à la déforestation. Protéger ces arbres permettrait aussi de protéger d’autres espèces comme les abeilles non-sociales ou les agoutis. Ils sont aussi une source importante de revenus pour les populations locales.

6. Le candelilla

Fleur de candelilla
Crédit photo : Gary Nored via Flickr

La cire de candelilla est extraite d’une euphorbe qui pousse à l’état sauvage dans le désert de Chihuahuan au Mexique. Connue sous le nom E902, cette cire est utilisée dans l’industrie alimentaire, la cosmétique ou la pharmacie. C’est un ingrédient commun des chewing-gums mais la cire de candelilla a gagné en popularité en cosmétique car c’est un produit naturel. C’est aussi une alternative végane à la cire d’abeille.

La récolte et la transformation de la candelilla sont effectués par des techniques traditionnelles. L’extraction de la cire se fait à chaud dans des chaudrons dans un mélange eau – acide sulfurique. Parfois, une étape de blanchiment est nécessaire avec de l’eau oxygénée. Les candelilleros5 n’ont pas toujours de protection adaptée pour manipuler ces produits chimiques. Ils et elles sont souvent issu·es des classes sociales pauvres et tirent jusqu’à 70 % de leurs revenus de cette industrie.

La principale menace sur la candelilla est la surexplotation mais son statut UICN n’est pas évalué à ce jour. De plus, sa répartition géographique est très restreinte.

Comment bien choisir ses produits contenant des produits naturels ?

Les plantes présentées sont représentatives des méthodes de récolte, de commercialisation et des opportunités pour ces végétaux qui existent à travers le monde. Elles sont utilisées dans diverses industries : alimentation, cosmétique, pharmacie. Elles sont avant tout une source de revenus vitale pour de nombreuses communautés locales et permettent l’émancipation des femmes. Les risques lors de la récolte et la transformation sont souvent les mêmes. Les cueilleurs·ses sont souvent exploité·es et le travail des enfants n’est pas rare. L’exploitation des végétaux sauvages participent aussi à la conservation des techniques ancestrales et d’écosystèmes parmi les plus riches au monde.

Malgré les risques d’exploitation humaine et de disparition de ces végétaux sauvages, il est important de ne pas s’en détourner. En tant que consommateur·rices, il faut rester vigilant·es. Pour cela, il faut apprendre à reconnaître les ingrédients qui ont origine sauvage dans nos produits du quotidien. On peut aussi se fier à des labels ou interroger directement les marques. Est-ce qu’il existe une traçabilité des ingrédients, des relations à long entre communautés locales et industriel·les ? Les cueilleurs·ses sont-ils payé·es un prix juste ? Existe-t-il des accords justes et équitables avec les communautés locales pour utiliser leur savoir traditionnel ?

Êtes-vous vigilant·e sur les ingrédients d’origine sauvage dans les produits que vous achetez ?

Logo Empreinte Minimale . Au centre les lettres E et M superposés verticalement . Encercle au dessus le texte empreinte minimale, au dessous écologie consciente

Bibliographie :

1 Schindler C., Heral E., Drinkwater E., Timoshyna A., Muir G., Walter S., Leaman D.J. and Schippmann U., Wild check – Assessing risks and opportunities of trade in wild plant ingredients, FAO, 2022. https://doi.org/10.4060/cb9267en

2 Fedele G., Donatti C. I., Bornacelly I., Hole D. G., Nature-dependent people: Mapping human direct use of nature for basic needs across the tropics, Global Environmental Change 71, 2021

3 Les 12 plantes « vedettes » choisies par la FAO sont : l’encens, le pygeum (un cerisier d’Afrique), le karité, le jatamansi (plante aromatique himalayenne), la gomme arabique, le sceau d’or, la candelilla, l’argan, le baobab, la noix du Brésil, le réglisse, le genévrier.

4 Wandersee, J. H. & Schussler, E. E., Preventing Plant Blindness. The American Biology Teacher, 61(2): 82–86. https://doi.org/10.2307/4450624

5 Les candelilleros sont toutes les personnes impliquées dans la récolte et la transformation de la cire de candelilla.

Crédit photo : Madison Inouye via Pexels pour la photo de couverture

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