Transport

Le SUV, ni bon pour l’environnement ni sécuritaire

Ils sont partout et ils sont à la mode. Une pub sur deux pour l’automobile vante les mérites des SUV. A se demander même si tu n’as pas raté ta vie si tu ne possèdes pas de SUV avant 50 ans. Véritable phénomène de société, le SUV dans le parc automobile mondial s’est fait une place de choix mais paradoxalement intéresse peu les sociologues et autres scientifiques français·es.

Suite à l’article de Tom Stacey «  Four reasons SUVs are less safe and worse for the environment than a regular car » paru dans The Conversation United Kingdom, il m’a semblé intéressant de consacrer un article à ce type de véhicule apparu au début des années 2000 en France. Très controversé car jugé encombrant, polluant et dangereux pour les usagers les plus faibles (piétons, cyclistes), qu’en est il vraiment ? Mais avant tout un peu d’histoire pour découvrir d’où viennent les SUV.

Qu’est-ce qu’un SUV ?

Si l’automobile est née en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne à la fin du 19ème siècle, c’est aux États-Unis avec Henry Ford et sa Ford T que l’on doit sa diffusion à grande échelle au 20ème siècle. D’un objet réservé à l’élite la voiture s’est peu à peu démocratisée. A la fin des années 70, le taux de multi-équipement (plusieurs voitures par foyer) en France est en pleine croissance et de nouveaux publics, les femmes, les jeunes actifs et les retraités ont accès à ce moyen de transport1.

Une origine militaire

Le nom 4×4 fait référence à la transmission intégrale des chars d’assaut qui sera transposé à des véhicules militaires légers comme la Jeep lors de la seconde guerre mondiale. Ce type de véhicule est alors adopté par certaines administrations comme les eaux et forêts ou par les services d’équipements pour sa facilité à rouler dans des terrains non viabilisés mais leur manque de confort est souvent reproché. Au début des années 80 et 90, le Hummer ou la Land Rover sont les premiers modèles de 4×4 destinés aux familles (riches!). Il faut attendre l’arrivée des SUV, une version plus luxueuse et dotée de plus d’options pour que ce type de véhicules supplante les monospaces aux États-Unis. Depuis la gamme s’est étoffée. Les cross-overs sont une version moins chère que les SUV puisque construit sur un modèle de berline mais en conservent ses attributs : un poids et une hauteur plus élevés et souvent deux roues motrices2. Aujourd’hui ce sont les familles et surtout les femmes3 qui plébiscitent ce genre de véhicules.

vue de face de la calandre d'une Jeep noire
Crédit photo : Cole Ankney via Unsplash

Quand on ne sait pas qu’on conduit un SUV !

Le sigle SUV désigne le Sport Utility Vehicle, qui a toutes les caractéristiques d’un 4×4 sans pourtant en être forcément un. Certains ne possèdent pas 4 roues motrices et ne sont donc pas adaptés à tous les terrains Mais tous les SUV sont des véhicules surélevés avec une hauteur, un volume et un intérieur important. Ils possèdent une position de conduite haute et un avant imposant peu aérodynamique. Tandis que les SUV se rapprochent plus du monospaces, les crossovers sont des dérivés des berlines. On peut aussi les classer aussi comme SUV urbains, compacts ou familiaux4. Le SUV prend donc plusieurs formes et tailles mais comme le définit le WWF, un SUV est «un véhicule plus gros que son équivalent normalement constitué.5 »

Devant le flou de la définition du SUV et le nombre de modèles mis sur le marché par les constructeurs, pas étonnant que les automobilistes peinent à identifier facilement ce type de véhicules. Selon une étude publiée par l’observatoire Cetelem en 20216, moins d’une personne sur 5 identifie la Renault Captur comme un SUV et seulement 27 % pour la Peugeot 3008. Pourtant, ces deux SUV sont dans le top 10 des meilleures ventes de voitures en France7 et dans le top 20 pour l’Europe8 en 2021. En France, 34 % de personnes interrogés pensent conduire un SUV alors que ce n’est pas le cas.

Le succès du SUV

D’après le WWF5, le nombre de SUV a été multiplié par 7 en 10 ans (2008 – 2018), passant d’une part de marché de 5 % en 2018 à 38 % en 2019. En 2022, une voiture vendue sur 2 devrait être un SUV.

Mais d’où vient le succès du SUV ?

Comme le rappelle, Yoann Demoli dans un article pour BFM, acheter un SUV est un moyen de se distinguer et d’afficher un certain rang social9. Mais les propriétaires de SUV sont aussi de grands consommateurs·rices d’espace vivant plutôt à la campagne ou en banlieue et 20 % d’entre eux possèdent une résidence secondaire2. Ce retour à la nature apparaît paradoxal puisque la voiture nous coupe bien souvent de celle-ci10. La disparition des monospace des catalogues des constructeurs, voitures familiales par excellence, permet aussi le succès des SUV. Enfin les femmes sont très friandes de ces voitures de part la position surélevée de conduite et un sentiment de sécurité qui se retrouve chez tous les conducteurs·rices. On peut tout de même s’interroger sur le rôle de la publicité dans l’achat d’un SUV et questionner sa dangerosité, sa place dans l’espace publique, la pollution qu’il génèrent et son impact sur les finances des ménages les plus pauvres.

photo d'une rue d'une ville amériqaine avec des gros SUV garés de chaque côté
Crédit photo : Marcus Chis via Unsplash

L’influence de la publicité sur l’achat des SUV

Plus cher à l’achat, le SUV est l’une des voitures les plus vendues en France et dans le monde. Mais il faut dire que les constructeurs mettent le paquet sur la publicité.

Les chiffres de la publicité pour les SUV

D’après le rapport Le trop plein de SUV dans la pub11paru en mars 2021, le WWF montre que les constructeurs ont investi 1,8 milliards d’euros dans la publicité des SUV en 2019, 1,2 milliards d’euros pour les citadines et seulement 860 millions d’euros aux modèles de berlines. Citadines et berlines sont pourtant moins polluantes car plus petites et légères. D’année en année la part d’investissements publicitaires pour les SUV augmente : 42 % en 2019 contre 40 % en 2018 au détriment des berlines et citadines. En 2019, presque 4h de spots publicitaires, toutes chaînes confondues, sont consacrés au SUV et pour la publicité papier, l’équivalent d’un journal de 18 pages chaque jour et de l’ensemble des panneaux d’affichage du métro parisien. Comment ne pas succomber à l’achat d’un SUV si on a en les moyens après un tel matraquage ?

Les images véhiculées par la publicité pour les SUV

Toujours d’après ce même rapport du WWF11, 4 messages principaux sont mis en avant dans la publicité pour les SUV :

  • un véhicule bon pour l’environnement
  • un sentiment de sécurité
  • un accès à la nature pour la dominer
  • un véhicule familial

La ringardisation des monospaces et le peu d’argent investi dans leur promotion (215 millions d’euros soit 6,5 fois moins que pour les SUV) ont conduit à la chute des ventes de ces voitures adaptés aux familles. Elles se tournent par défaut vers les SUV, valorisant, d’une part, le conducteur et père de famille et d’autre part un sentiment de liberté et d’accès à la nature.

Cet appel à la nature est très présente dans les publicités mais pour la dominer. Avec mon SUV, je suis libre d’aller où je veux, d’affronter les pires conditions météos en sécurité (image de la nature agressive). En 2019 près d ‘un 1 SUV sur 2 est vendu en région parisienne, l’une des régions les plus urbanisées et les plus riches de France. Le WWF montre également qu’il n’y a aucune corrélation entre habiter une zone montagneuse et posséder un SUV17. De plus, le SUV sert souvent aux trajets domicile-travail ou domicile-courses d’une banlieue pavillonnaire à un bureau en ville. On passe plus de temps dans les ralentissements et les bouchons qu’au bord d’un ravin dans un paysage immaculé. Cette vision du SUV s’ancre totalement dans l’individualisme de notre époque et une envie de se sortir d’une routine quotidienne pour ne pas faire comme tout le monde.

Le SUV bon pour l’environnement ?

Comme on l’a vu précédemment, les publicitaires font abondamment appel à la nature avec ici l’image de la nature symbole de la paix intérieure pour mettre en avant une voiture en accord ave la protection de l’environnement. Cependant la réalité est bien différente des publicités.

Montrés du doigt à la fois par le WWF12 et Greenpeace13, les SUV ne sont pas en faveur du climat. Ces deux ONG dénoncent des véhicules plus lourds et moins aérodynamiques produisant plus d’émissions de CO2 que les modèles berlines et citadines équivalentes (+ 20 % en moyenne). Selon le WWF, un SUV a une empreinte carbone 6 fois plus importante qu’une citadine électrique. C’est l’une des raisons qui expliquent que les émissions du secteur des transports ne baissent pas depuis des années. On pourrait aussi ajouter que le SUV est un grand consommateur d’espace public car plus grand, plus large, plus long qu’une berline ou une citadine.

Vue d'un SUV en circualation dans une rue mouillée
Crédit photo : Kaique Rocha via Pexels

Zoom sur le SUV électrique

Avec la fin de la vente de certains modèles de véhicules thermiques en 203518, les constructeurs ont déjà misé sur les SUV hybrides ou électriques. Cependant c’est une fausse bonne idée. Un SUV électrique a une empreinte carbone plus élevé qu’une citadine électrique, jusqu’à 2 fois plus élelevée19. De plus, une voiture électrique ce n’est pas zéro émission. Si elle n’émet de gaz à effet de serre (GES) à l’usage, sa phase de fabrication produit des GES. D’après l’Ademe20, la quantité de particules fines émises par les voitures électriques n’est pas négligeable et il n’existe pas d’écart significatif sur le production entre ces deux types de véhicules, électrique et thermique. Enfin selon le WWF12, l’électrification du parc des SUV ne permettra pas une baisse des émissions de gaz à effet de serre. La sobriété avec moins de véhicules (réduction de la possession individuelle d’un véhicule), moins lourds (des petites citadines électriques) et l’utilisation des transports doux, des transports en commun et de transports partagés est le seul moyen de respecter les accords de Paris.

Un SUV plus dangereux que les berlines?

Quand on parle de sécurité pour les SUV, le premier reproche que l’on fait est de citer seulement des études nord-américaines. Par exemple, le quotidien Detroit Free Press reprise par France Info montre que les piétons ont deux à trois plus de risques de décéder en cas de collision avec un SUV ou un pick-up. Matthieu Chassignet9, quant à lui, cite une étude canadienne. En cas de collision entre un SUV et une berline, le ou la conducteur·rice de la berline a 224% plus de risques d’être tué·e. Pour les défenseur·es des SUV, le parc automobile nord-américain est différent du parc européen. Les voitures seraient moins imposantes en Europe.

Peut-on trouver des données pour l’Europe ? Les chercheur·ses s’intéressent peu à ces questions. Une étude anglaise14 montre que les conducteurs·rices de 4×4 ont quatre fois plus de chances d’être vu·es le téléphone à la main en conduisant. Ils et elles respectent aussi moins le port de la ceinture de sécurité.

Mais c’est vers les compagnies d’assurances qu’il faut se tourner pour avoir une idée de l’accidentologie pour les SUV. La branche suisse d’Axa montre dans une enquête15 auprès de ses assuré·es que les accidents provoqués par les SUV sont plus nombreux : +10 % et jusqu’à +27 % pour les gros SUV de plus de 2 500 kg. De plus, les conséquences de ces accidents sont plus graves, plus les véhicules sont lourds. La taille, le poids ainsi que la hauteur du centre de gravité du pare-choc expliquent ces différences. D’après cette étude, 69 % des personnes interrogées trouvent les SUV dangereux pour les enfants.

L’institut Vias16 en Belgique donne des chiffres similaires. Le risque de blessures mortelles pour les cyclistes et les piétons s’accroît avec le poids du véhicule : +50 % entre une voiture de 1 800 kg par rapport à une voiture de 1 200 kg. En 20 ans, le poids moyen des voitures a augmenté de 140 kg entraînant un sur-risque de mortalité de 10 % si aucun progrès n’avait fait en matière de sécurité. Cependant l’augmentation de la sécurité active et passive des véhicules ne compensent pas les risques de blessures mortelles pour les cyclistes et piétons dues à la hausse du poids des voitures.

Loin du sentiment de sécurité affiché par les publicités, Les SUV sont plus dangereux pour les véhicules plus légers et les usager·ères plus vulnérables de la chaussée (piéton·nes et cyclistes).

Le coût financier du SUV pour les plus modestes

Le WWF montre dans une dernière étude17 que rouler en SUV coûte plus cher : 30 % plus cher à l’achat qu’une berline équivalente et consomment 20 % de carburant en plus. L’arrivée de ces SUV sur le marché de l’occasion, où s’approvisionnent les ménages modestes, augmentera de fait le coût de possession d’une voiture. Le WWF estime ce surcoût à 408€ par an en moyenne d’ici 2035 et serait supérieur à la hausse du prix du carburant. Enfin, les ménages modestes vivant en zone rurale seront plus affectés que les ménages modestes vivant en zone dense.

Autocollant SUV uncool
Crédit photo : Markus Spiske via Pexels

Le bilan du SUV

Si les ventes de SUV on été multiplié par 7 en 10 ans et en fait le véhicule privilégié des urbains aisés, le bilan du SUV est très mauvais. Il s’avère que s’il procure un sentiment de sécurité, cela reste un véhicule dangereux pour les utilisateur·rices les plus vulnérables. Plus lourd, il consomme plus de carburant. Il n’est donc pas bon pour l’environnement malgré l’argent investi par les constructeurs dans la publicité pour verdir son image. Le SUV électrique n’est pas la solution puisque que son empreinte carbone est plus élevé par rapport à une petite citadine électrique. Enfin, il est légitime de s’interroger sur l’arrivée de ces SUV sur le marché de l’occasion qui ne profitera pas aux plus modestes.

A titre individuel, on peut repenser la place de l’automobile dans sa vie. Sur quels trajets je l’utilise ? Emmener des enfants, faire des courses. Existe-t-il des alternatives pratiques et adaptés à mes moyens financiers ? Marche, vélo, transports en commun… Quelle politique peut-on mener pour un retour des transports en commun à la campagne ? On peut se questionner sur la présence de plusieurs véhicules dans le foyer. Enfin, il est très important de prendre en compte de l’influence de la publicité sur nos comportements. L’omniprésence des publicités pour les SUV est, je n’en doute pas, responsable du succès de ces véhicules.

Pourquoi avez-vous ou n’avez-vous pas acheter de SUV ?

Logo Empreinte Minimale . Au centre les lettres E et M superposés verticalement . Encercle au dessus le texte empreinte minimale, au dessous écologie consciente

Bibliographie :

1 Sociologie de l’automobile, Yoann Demoli, Pierre Lannoy, Éditions la découverte, 2019

2 Les propriétés sociales des conducteurs de 4×4 : Style de vie et rapport à l’espace, Yoann Demoli, Document de travail du CREST, 2013

3 Le SUV séduit les femmes, Jean-Michel Normand, Le Monde, 27/10/2020 consulté le 13/06/2022

4 Comment choisir un SUV ou un 4×4, UFC Que choisir, consulté le 13/06/2022

5 L’impact écrasant des SUV sur le climat, Rapport, WWF, Octobre 2020

6 L’insolente trajectoire des SUV, Observatoire Cetelem, 2021

7 Top 20 des voitures les plus vendues en France en 2021, L’automobile magazine, consulté le 13/06/2022

8 Palmarès des 20 voitures les plus vendues en Europe en 2021, L’argus, consulté le 13/06/2022

9 Le monde croule sous les SUV. Pourquoi c’est un problème et pourquoi ça risque de durer, Matthieu Chassignet, billet de blog, 17/01/2019, consulté le 14/06/2022

10 Je vous invite à lire l’article de Guillaume Rivest, Le monde utopique du VUS paru dans le magazine québécois Beside. Il explique qu’il peut facilement se connecter à la nature sans posséder de SUV (VUS en québécois).

11 Le trop plein de SUV dans la pub, rapport, WWF, mars 2021

12 L’impact écrasant des SUV sur le climat, rapport, SUV, octobre 2020

13 Benjamin Stephan, Insung Lee, Jiseok Kim, Droit dans le mur, l’industrie automobile, moteur du dérèglement climatique, résumé du rapport, Greenpeace, septembre 2019

14 Lesley Walker, Jonathan Williams, Konrad Jamrozik, Unsafe driving behaviour and four wheel drive vehicles : observational study, BMJ, 2006

15 SUV – grosses cylindrées, grands dangers?, AXA Suisse, consulté le 15/06/2022

16 En cas de choc, le poids d’une voiture impacte fortement la gravité des blessures des usagers vulnérables, Institut Vias, consulté le 15/06/2022

17 L’empreinte écrasante des SUV sur le budget des ménages, Rapport, WWF, Octobre 2020

18 Le parlement européen acte la fin des voitures thermiques en 2035, 20 minutes, consulté le 15/06/2022

19 Les idées reçues sur la voiture électrique, Carbone 4 consulté le 15/06/2022

20 Pollution de l’air : les voitures électriques émettent beaucoup de particules fines, Reporterre, consulté le 15/06/2022

Crédit photo : Tabea Schimpf via Unsplash pour la photo de couverture

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