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Qui pollue le plus ? CD, DVD, livre ou le streaming et la liseuse

En 20 ans, nos pratiques culturelles ont profondément changé. Le milieu des années 2000 a vu apparaître les liseuses et le streaming audio et vidéo. En effet, en 2006 était créée la plateforme de streaming musical, Spotify. En 2007 sortait la première liseuse d’Amazon, la Kindle. Et Netflix faisait un virage à 180°C en proposant dorénavant la vidéo à la demande, la VoD après avoir vendu des DVD par correspondance pendant 10 ans.

Aujourd’hui, on peut écouter de la musique, lire un livre ou regarder un film quand on veut et où on veut. La vente de CD et de Blu-Ray/DVD s’est effondré au profit d’achats digitaux ou d’écoutes gratuites de films et de musique. Mais cette dématérialisation a-t-elle contribué à réduire l’impact environnemental de ces produits culturels ? Faut-il mieux acheter un DVD ou louer un film si on veut être écolo ?

Cette question l’ADEME se l’est posée. Dans une étude parue en novembre 2022, intitulée « Évaluation de l’impact environnemental de la digitalisation des services culturels1 », l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) compare quatre services entre leurs versions physiques et numériques : lire un livre, écouter de la musique, regarder un film et jouer au jeu vidéo en utilisant la méthode d’analyse du cycle de vie (ACV). Si en passant au numérique, la fabrication de support comme le CD, le DVD et le livre devient inutile, la dématérialisation, qui n’est qu’apparente permet-elle de faire des économies de matières premières et d’émettre moins de gaz à effet de serre ? La réponse n’est pas si évidente et mérite d’être nuancée car l’impact environnemental dépend énormément de l’intensité d’usage.

Faut-il lire un livre papier ou un livre électronique pour l’environnement ?

Si en 2021, 86 % des Français·es ont lu au moins un livre, nous lisons en moyenne 18 livres : 15 livres papier et 3 livres numériques selon le baromètre bisannuel du Centre National du Livre2. Depuis 2015, le taux de lecteurices de livres numériques reste stable, autour de 22 %. Dans le secteur du livre, le passage au tout numérique est encore timide puisque seulement 3 % des personnes lisent exclusivement des livres dématérialisés. Nous sommes encore très attachés aux livres papier. Alors faut-il garder nos habitudes pour limiter notre impact environnemental ?

L’analyse du cycle de vie du scénario « lire en livre »

L’ADEME a comparé la lecture d’un livre papier et la lecture d’un livre électronique sur liseuse ou sur tablette. Pour le format physique, la fabrication du livre papier a le plus d’impacts. A l’inverse pour le format numérique, la fabrication de la liseuse ou de la tablette est le plus dommageable pour l’environnement. En considérant deux utilisations du livre papier sur sa durée de vie et 4,5 lectures sur tablette ou liseuse, le livre papier sort grand vainqueur. Il a moins d’impacts sur l’ensemble de paramètres comme le changement climatique, les ressources en eau ou les ressources minérales et métalliques. La liseuse devient intéressante à partir de 10 livres lus par an en considérant une seule lecture durant la durée de vie du livre et seulement le paramètre changement climatique. Mais un livre peut être relu, prêté, vendu ou donné. En un mot, un livre peut avoir plusieurs vies. Dans ce cas, dans l’hypothèse de 5 utilisations, la liseuse devient intéressante à partir de 53 livres lus par an. Si on s’intéresse aux impacts sur les ressources minérales et métalliques, le point de bascule se situe à 41 livres lus par an.

Comparaison des impacts sur le changement climatique entre le livre papier (usage unique, 2 ou 5 utilisations) et la liseuse selon le nombre de livres lus par an (Source : ADEME)

En conclusion, l’impact du scénario « lire un livre » dépend beaucoup des hypothèses de départ. Un livre a une durée de vie importante et peut être lu de nombreuses fois, ce qui diminue son impact au fil des ans. Une revue de la littérature scientifique3 montre qu’il est très difficile de conclure en faveur de la liseuse ou du livre électronique. L’impact environnemental dépend fortement des pratiques des utilisateurices.

En conclusion, il semblerait qu’une liseuse devienne intéressante seulement pour les très grand·es lecteurices.

Les bonnes pratiques

La fabrication et la fin de vie de la liseuse ou de la tablette est le principal impact environnemental. Il est donc important de prolonger au maximum sa durée de vie. Il est aussi important de privilégier son usage au lieu de l’achat de livres neufs. La liseuse devrait être réservée aux plus grand·es lecteurices et qui aime lire sur ce genre de supports ou la partager au sein du foyer. Il est possible de tester des liseuses en bibliothèques.

CD ou streaming ? Qui a le moins d’impact ?

Le streaming audio représentait 70 % de marché en 2021 contre 20 % en 2011. Le marché du CD s’est effondré depuis 20 ans même si la vente de CD et de vinyles augmente depuis 2020.

Évolution du marché de la musique en France au cours de ces 20 dernières années (Source : Statista)

Dans The Cost of Music4, Brennan et Devine montrent que tous les formats de musique ont des coûts environnementaux et humains. Aux États-Unis, la société Keysor-Century Corporation fournissait environ 20 millions de kilogrammes de PVC pour fabriquer les disques vinyles et a été condamnée pour rejets de produits toxiques dans l’environnement. Aujourd’hui, la fabrication du PVC pour les CD provient de Thaïlande.  La pollution a été externalisée.

Ces deux auteurs ont également calculé, pour le marché américain, qu’entre 2000 et 2016, l’utilisation de plastiques est passée de 61 millions de kilogrammes à 8 millions avec le streaming. La numérisation de la musique a permis de produire moins de CD donc de plastique. Mais ils ont également converti la production de plastiques en émissions de gaz à effet de serre équivalent (GES). En 2000, la production de plastiques produisait 157 millions de kilogrammes de GES. En 2016, le streaming audio aux États-Unis, rejetait 200 millions de kilogrammes de GES et jusqu’à 350 millions dans une hypothèse haute. Le streaming audio ne semble donc pas moins polluant que son équivalent physique, CD et chaîne hi-fi.

L’analyse du cycle de vie de l’ADEME

Dans son scénario « écouter de la musique », l’ADEME compare quatre services :

  • l’écoute d’un CD sur une chaîne hi-fi
  • l’écoute en streaming sur un smartphone
  • l’écoute en streaming sur un smartphone avec une enceinte connectée
  • l’écoute en streaming sur un smartphone connecté avec un chaîne hi-fi

Le passage au streaming audio a multiplié les équipements mais a aussi bouleversé nos habitudes. De nos jours, nous avons accès à beaucoup plus de contenus? Nous pouvons aussi les écouter où on veut. Si les services ne sont pas strictement identiques, l’écoute en streaming sur smartphone est la moins impactante. L’impact du CD peut être diminué si le CD est réutilisé plusieurs fois comme on l’a vu pour le livre. L’ajout d’un enceinte connectée ou d’une chaîne hi-fi augmente les impacts environnementaux de l’écoute en streaming et peut devenir supérieure à l’écoute d’un CD.

Comparaison des impacts sur le changement climatique pour le scénario  » Écouter 1h de musique » (Source : ADEME)

Les bonnes pratiques

De conseils simples permettent de limiter l’impact environnemental du streaming audio.

  • Couper la vidéo lorsque l’on souhaite écouter de la musique
  • Télécharger les titres que vous écoutez souvent
  • Limiter les accessoires, en prendre soin et les acheter reconditionnés si c’est possible
  • Privilégier le Wi-Fi à la 4G/5G

Streaming vidéo, la difficile question de l’impact environnemental ?

La question de l’impact du streaming vidéo est très controversée comme je l’avais évoqué dans mon article sur la pollution numérique. Selon Cisco, en 2020, la vidéo (vidéo à la demande, vidéosurveillance…) représentait 82 % du trafic global sur internet.

En 2020 chaque seconde il y aura environ 1 million de minutes de vidéos transférées sur les réseaux.

Cisco

En 15 ans, nos habitudes de consommation ont profondément évolué avec l’arrivée des plateformes de streaming comme Netflix et de la 4G/5G. Ces progrès technologiques ont-il eu un impact positif ou négatif sur l’environnement ?

L’analyse du cycle de vie de l’ADEME

L’ADEME a choisi de comparer quatre scénarios :

  • Regarder un film au format DVD sur une télévision avec un lecteur DVD
  • Regarder un film en streaming sur une télévision connectée à une box internet
  • Regarder un film en streaming sur un ordinateur portable
  • Regarder un film en streaming sur un smartphone
Comparaison des impacts sur le changement climatique pour le scénario « regarder un film » (Source : ADEME)

L’impact du DVD est très important sur le changement climatique qui peut être réduit dès qu’on réutilise le DVD à l’image du livre et du CD. Pour les scénarios numériques, la consommation de données représente un impact prépondérant. Le type de connexion et la définition de la vidéo ne peut être négligé sur l’impact environnement. Il semble toutefois que visionner un film sur un écran de smartphone est le moins impactant mais pas le plus confortable.

Les bonnes pratiques

Le streaming vidéo est de loin le plus impactant. Il est possible de limiter son impact en adoptant des gestes simples.

  • Privilégier les résolutions standard. La full HD n’a pas de sens sur un PC ou un smartphone
  • Préférer les réseaux fixes (fibre optique, Wifi) aux réseaux mobiles (4G/5G)
  • Prendre soin de ses équipements
  • Limiter le nombre et la taille des écrans

L’effet rebond

L’arrivée de la dématérialisation dans le milieu culturel a conduit à un bouleversement de nos habitudes et de nos comportements. Si le streaming audio et vidéo a permis de démocratiser l’accès à la culture, il a conduit aussi à une augmentation de la consommation de films, de séries ou de musique. En 2017, Netflix mettait à disposition de ses abonné·es plus de 140 millions d’heures de contenus5.

L’analyse du cycle de vie ne permet pas de prendre en compte l’effet rebond. Il est courant aujourd’hui d’écouter de la musique, de regarder une série tout en cuisinant. L’arrivée des plateformes de streaming a conduit à une consommation excessive de contenus, le binge watching. Entre 2012 et 2020 la vente de DVD a diminué de moitié. De 106 millions, il ne se vend plus aujourd’hui que 53 millions de DVD. Dans le même temps, le nombre d’heure de visionnage de vidéos sur internet à été multiplié par 4. Le nombre d’heures de visionnage de vidéos a explosé selon les calculs de l’ADEME ce qui entraînerait plus d’impacts alors que la part du DVD a été divisé par 2. Pour rappel, le scénario « regarder un film sur DVD » est le plus impactant. Le gain écologique avec la diminution de l’utilisation pourrait être annulé par l’explosion de la vidéo sur internet.

Réfléchir aux évolutions de nos modes de consommation

La dématérialisation de la culture n’a pas permis de s’affranchir d’équipements physiques. La disparition des CD et des DVD de nos intérieurs s’est fait au profit de la multiplication d’objets électroniques (enceinte connectée, casque connectée, console, smartphone, ordinateur…) Si certains objets peuvent remplir diverses fonctions (téléphone, tablette), il n’en demeure pas moins qu’on est passé à une individualisation des usages. Ainsi de plus en plus d’objets électroniques parfois redondants trônent dans nos intérieurs. Tous ses appareils sont coûteux en ressources et en énergie à fabriquer et difficile à recycler. Il est donc important d’allonger au maximum leur durée de vie et d’opter pour des équipements reconditionnés.

L’arrivée du streaming audio et vidéo a bouleversé nos comportements. Nous consommons plus de contenus, disponible 7 jours sur 7, 24h/24 quelque soit l’endroit où l’on se trouve. Si à titre individuel, certains services culturels numériques ont moins d’impacts, la question de l’effet rebond se pose. S’il est très bien connu, les scientifiques ont encore du mal à l’évaluer. En conclusion, l’intensité d’usage joue un rôle important dans les impacts environnementaux. Cette étude de l’ADEME ne permet donc pas de conclure sur les bienfaits des services culturels numériques sur l’environnement. Il est donc primordial de s’interroger, chacune, chacun sur nos comportements quotidiens.

L’arrivée du streaming a-t-il bouleversé vos habitudes d’écoute de musique ou de visionnage de films ?

Pour aller plus loin :

Frankenstream, Documentaire ARTE

La fête du stream, Enquête sur l’économie de la musique, Les jours

Bibliographie :

1 Évaluation de l’impact environnemental de la digitalisation des services culturels, MEYER Julia (ADEME), NICO Tom (I Care), BURGUBURU Alexis (I Care), RIGAL Margot (I Care), LIZON Benjamin (I Care), GENIN Léo (I Care), CATALAN Caroline (I Care), ADAM Isaure (I Care). ADEME, 2022.

2 Baromètre Les Français et la lecture Résultats 2021, Armelle VINCENT GERARD et Maëlle LAPOINTE, Centre National du Livre, 2021

3 Qi Kang, Jiniy Lu and Jianhua Xu, Is e-reading environmentally more sustainable than conventional reading? Evidence from a systematic literature review, Library and Information Science Research, 43, 2021

4 Brennan, M. and Devine, K. The Cost of Music. Popular Music, 39(1), 2020

5 Nair A., Auerbach G., Skerlos S. J., Environmental Impacts of Shifting from movie Disc Media to Movie Streaming : Case Study and Sensitivity Analysis, 26th CIRP Life Cycle Engineering (LCE) Conference, Procedia CIRP 80, 2019

Crédit photo : Lisa Fotios (Pexels) pour la photo de couverture

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