Dans deux articles récents intitulés Faire sa part, les éco-gestes et après ? et Pourquoi l’écologie individuelle seule ne sauvera pas la planète ?, je discutais de la part des individus dans la responsabilité vis-à vis du changement climatique. Si les gestes écologiques individuels ne sont pas à rejeter en bloc, les plus riches ont une obligation essentielle dans la réduction des gaz à effet de serre à l’échelle globale. Ceci est une nouvelle fois confirmée par un rapport publié en 2019 conjointement par l’université de Leeds, le cabinet de conseil Arup et C40 Cities1 intitulé The Future of Urban Consumption In a 1.5°C World.
Avant de vous dévoiler les 6 gestes écologiques que devraient adopter tous les urbains aisés porté par un mouvement citoyen britannique The Jump, je vous propose de revenir sur les effets d’un changement des comportements individuels des habitant·e·s les plus aisé·es des villes et le rôle que peut jouer les administrations locales et les entreprises.
Les villes sont de grandes émettrices de gaz à effet de serre
Trop de gaz à effet de serre émis par les villes
Les villes concentrent la majorité de la population mondiale2 et elles sont aussi très vulnérables au changement climatique, à l’instar de Paris3. Dans le même temps, les centres urbains sont des sources majeures de gaz à effet de serre. En effet, on estime que les villes sont responsables de 75 % des émissions de CO2, notamment dues aux transports et aux bâtiments.
Dans leur rapport The Future of Urban Consumption In a 1.5°C World, l’université de Leeds, le cabinet de conseil Arup et C40 Cities s’intéressent plutôt aux émissions de CO2 dues à la consommation car les villes sont des lieux de consommation et ne produisent que très peu des biens et des services qu’elles consomment. Ainsi les habitant·es des villes regroupé·es dans le collectif C40 Cities, plus de 700 millions de personnes, sont responsables de 10 % des gaz à effet de serre émis chaque année dans le monde. De plus, 85 % de ces émissions sont produites en dehors de ces villes, 60 % dans le pays même et 25 % à l’étranger.
Les consommateurs·rices à titre individuel ne peuvent pas changer le fonctionnement de l’économie mondiale à eux ou elles seul·es, mais bon nombre des interventions proposées dans ce rapport s’appuient sur l’action individuelle.
The Future of Urban Consumption In a 1.5°C World
Six leviers d’action possibles
Afin de rester sur une trajectoire de 1,5°C d’augmentation moyenne de la température à la surface de la Terre, l’impact de la consommation urbaine doit baisser de 50 % d’ici 2030 et de 80 % en 2050. Les plus aisé·es des citadin·es dans les pays riches (Europe, Amérique du Nord) doivent même réduire leur consommation des 2/3 avant 2030. La croissance des émissions de gaz à effet de serre est en effet fortement corrélée aux revenus.

Pour cela, le rapport a analysé les réductions possibles dans 6 catégories : l’alimentation, les bâtiments et les infrastructures, le transport routier, l’aviation, l’habillement, l’électronique et l’électroménager. Que ce soit par des gestes individuels ou par des changements dans les politiques des villes, la réduction des émissions de gaz à effet de serre peut aller de 33 % à 66 % en 2050 suivant les catégories. Les bâtiments et l’alimentation sont les deux secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Les réductions possibles par catégorie sont détaillées ci-après. Les chiffres sont associés aux politiques les plus ambitieuses comme l’achat au maximum de 3 vêtements par an ou la fin de la possession de voitures individuelles.
L’alimentation :
En 2017, les émissions dues à l’alimentation comptent pour 13 % des émissions globales des villes appartenant au C40 dont les trois quarts sont dues à la consommation de produits d’origine animale. Leur réduction peut atteindre 60 % en 2050 :
- en réduisant sa consommation de viande et de produits laitiers (-45 % de GES en 2050)
- en réduisant le gaspillage alimentaire à la maison et tout au long de la chaîne de production
Les bâtiments et les infrastructures :
Ce secteur représente 11 % des émissions de gaz à effet de serre des villes du C40 en 2017. Une politique ambitieuse pourrait réduire les émissions de GES de 44 % en 2050. Les 5 actions suivantes sont les plus pertinentes :
- améliorer l’efficacité des matériaux (-29 % de GES en 2050)
- augmenter l’utilisation des bâtiments
- opter à des matériaux bas carbone
- utiliser du ciment bas carbone
- réutiliser les composants des bâtiments

Le transport routier :
8 % des émissions sont dues au transport routier dont 1/3 est affecté à la production des véhicules. Des actions ambitieuses, comme celles citées en dessous, réduiraient les émissions de 39 % :
- réduire la possession de voitures individuelles (-31% de GES en 2050)
- augmenter la durée de vie des voitures
- augmenter l’efficacité des matériaux
L’aviation :
2 % des émissions de GES sont dus à l’aviation mais ce secteur est l’un des plus intensifs en carbone et il croît rapidement. Les gains estimés sont de 55 % :
- en prenant moins souvent l’avion (-31 % de GES en 2050)
- en changeant pour des carburants plus verts
L’habillement :
Si l’habillement ne représente que 4 % des émissions du C40, les inquiétudes se portent sur le fort taux de croissance dans les villes des pays émergents. Les deux actions suivantes permettraient de réduire de 66 % les émissions en 2050 :
- réduire l’achat de vêtements neufs par an (-64 % de GES en 2050)
- limiter le gaspillage sur la chaîne d’approvisionnement
L’électronique et l’électroménager :
Le secteur de l’électroménager et de l’électronique ne représente que 3 % des émissions des villes du C40. Une durée de vie de 7 ans pour les ordinateurs et autres appareils électriques équivalents permettrait de réduire de 1/3 les émissions de ce secteur :
- augmenter la durée de vie des appareils électriques et électroniques

Toutes les actions précédemment citées ont été choisies pour que ni la qualité de vie des consommateurs·rices ni les biens et les services ne soient dégradés même si certains choix sont drastiques.
On peut noter que tous les efforts que feront les villes pour réduire leur impact climatique dépendent aussi des politiques publiques de chaque pays. En effet , 60 % des émissions de gaz à effet de serre sont importés depuis le territoire national respectif de chaque ville.
Les bénéfices d’une consommation sobre
Comme on l’a déjà vu dans l’article Désencombrer pour vivre plus léger, les bénéfices d’une consommation plus sobre sont nombreux. Comme le montre cette analyse, pour les habitant·e·s des centres urbains, une ville durable est une ville où l’on est en meilleure santé, plus sûre pour les piéton·nes et les cyclistes, où l’air et l’eau sont de meilleure qualité et où le logement est plus abordable. De plus, cela a aussi des impacts en dehors des limites des villes. Réduire ou arrêter de consommer des produits d’origine animale a des effets bénéfiques sur l’utilisation des sols, sur la déforestation ou l’eau douce4.
Les exemples cités dans ce rapport sont nombreux. En voici trois :
- Les économies réalisées sur l’achat d’un appartement dans des villes comme Londres, Hong Kong, New York, Buenos Aires. 750 000 maisons londoniennes pourraient être ainsi rénovées.
- Un régime plus végétalisé éviteraient 170 000 décès par an car la consommation de viande rouge est associée à un risque accru de cancers, de maladies cardiaques, de diabète ou d’AVC.
- Réduire la place de la voiture en ville permettrait de rendre de l’espace aux piéton·nes et aux cyclistes (création de pistes cyclables) et de planter des arbres créant des espaces de fraîcheur et d’ombre en été.
Cependant si les économies financières peuvent être importantes, il faut se méfier des effets rebond. Par exemple, la moindre consommation de vêtements neufs ne doit pas se reporter sur l’achat d’une grande quantité de vêtements de seconde main.
Maintenant, voyons comment les citoyen·nes aisé·es peuvent passer à l’acte.

Les 6 gestes écologistes que devraient adopter tous les urbains aisés
The Power of People est un rapport issu des conclusions du rapport précédent The Future of Urban Consumption In a 1.5°C World datant de juin 2019 et détaillé ci-dessus. The Power of People présente des actions pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre dans les 10 ans à venir en détaillant 6 actions clés. Il est porté par le mouvement climat britannique The Jump avec la participation de cabinet de conseil Arup et du réseau des villes appartenant au C40.
Ce sont les plus haut revenus qui doivent faire les plus gros efforts dès maintenant.
Rapport The Power of People
Dans les pays riches d’Europe et d’Amérique de Nord, les citoyen·nes peuvent réduire de 25 à 27 % leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 en adoptant des actions individuelles dans 5 domaines : l’alimentation, la possession d’un véhicule personnel, l’avion, l’habillement et l’électroménager et les appareils électroniques. Toutefois, les gouvernements et l’industrie ont encore une responsabilité importante sur les 75 % de baisse des émissions nécessaires pour rester sur une trajectoire à 1,5°C. Enfin, ce sont les plus haut revenus qui doivent faire les plus gros efforts dès maintenant. Comme les auteurs·rices le montrent, les personnes à faibles revenus ont des comportements individuels moins émissifs en carbone (moins de voyages en avion, moins de lourds véhicules par foyer), ils ne devraient donc réduire leurs émissions que de seulement 9 %.
A partir de quel revenu par foyer est-on riche ?
Savez-vous si vous êtes riches ? Difficile de répondre à cette question, d’autant qu’en France la question de l’argent est tabou. L’Observatoire des Inégalités a tenté d’y répondre en 2021. Déterminer à quelle classe on appartient (populaire, moyenne ou riche) dépend des revenus et de la composition du foyer. Si le graphique ne représente pas tous les foyers, j’espère que vous pourrez vous situer par rapport à la population française.
Définition du revenu disponible : c’est l’ensemble des revenus déclarés aux impôts (salaires, revenus du patrimoine) dont on retire les impôts directs (impôt sur le revenu, impôts locaux) puis on y ajoute les prestations sociales (allocation logement, allocations familiales…)

Les 6 gestes écologiques à adopter dès maintenant
- Adopter un régime végétalien et limiter le gaspillage alimentaire (12 % des émissions de GES) : opter pour une alimentation sans produits d’origine animale (viande, poisson, lait, œufs) permet de réduire son impact carbone de 9 % soit un tiers des émissions évitées (27 % au maximum) par les six gestes individuels choisis dans l’étude.
- Limiter à 3 (maximum 8) l’achat de vêtements neufs par an (6 % des émissions de GES)
- Voyager localement : 1 voyage court-courrier tous les 3 ans et 1 long-courrier tous les 8 ans. Si en moyenne la baisse n’est que de 2 % des émissions de gaz à effet de serre, les personnes qui ont les plus hauts revenus sont les personnes qui voyagent le plus. Elles ont donc un potentiel de réduction très supérieure à la moyenne.
- Ne plus posséder de véhicule personnel (2 % des émissions de GES) ou le garder le plus longtemps possible.
- Allonger la durée de vie de ces appareils électroniques (3 % des émissions de GES) et les garder au moins 7 ans.
- Changer le système en passant par exemple par un fournisseur d’électricité verte, isoler sa maison, changer pour une banque éthique.
Sur la période 2021 – 2030, ces 6 gestes permettent de réduire globalement les émissions dues à la consommation de 78 % et de 25 à 27 % individuellement. Les actions individuelles ne sont pas vaines. Cependant, toutes ne sont pas facilement accessibles. Par exemple, il est difficile de se passer de voiture personnelle même en ville quand les solutions de déplacements alternatifs (transport en commun, pistes cyclables, autopartage ou covoiturage…) ne sont pas fiables. Ce même raisonnement peut être appliquer aux appareils électroménagers. Comment augmenter leur durée de vie s’ils ne sont pas conçus pour être robustes et réparables ? Si l’action individuelle est primordiale, les gouvernements et les industries doivent aussi soutenir les actions individuelles.
Cependant l’action qui a le plus d’impact est la réduction des produits d’origine animale dans l’alimentation et pour les personnes aisées, la diminution significative des voyages en avion.
Quels éco-gestes vous engagez-vous à adopter pour baisser vos émissions de gaz à effet de serre ?
Pour aller plus loin :
Calcul de l’empreinte carbone personnelle

Bibliographie :
The Future of Urban Consumption In a 1.5°C World, Université de Leeds, C40 Cities, 2019.
The Power of People, The Jump, Arup, C40 Cities, 2022.
1 C40 Cities est un réseau international regroupant près d’une centaine de villes dans le monde s’engageant dans la lutte contre le changement climatique. Pari est la seule ville française appartenant à cette organisation.
2 En 2018, 55 % de la population moniale vivait en zone urbaine et pourrait atteindre 68 % en 2050 selon le rapport 2018 Revision of World Urbanization Prospects du département des affaires économiques et sociales des Nations Unies (UN DESA).
3 Paris face au changement climatique, Ville de Paris, Septembre 2021
4 voir l’article sur les limites planétaires (à paraître).
Crédit photo : picjumbo.com via Pexels pour la photo de couverture