Agriculture Climat

Et si manger, c’était polluer?

Quel est l’impact environnemental de l’alimentation? Cette question, nous nous la posons trop peu mais notre nourriture pour être produite, transformée et transportée émet des gaz à effet de serre. Petit tour d’horizon de l’empreinte carbone de notre assiette.

L’impact de l’alimentation sur le climat

L’alimentation contribue entre un tiers1 (18 gigatonnes CO2 eq. en 2015) et un quart2 (13,7 Gt CO2 eq.) des émissions mondiales de gaz à effet de serre. En 2019, le GIEC, dans son rapport spécial sur le changement climatique et les terres émergées, estimait que les émissions de gaz à effet de serre du système alimentaire étaient comprises entre 11 et 19 gigatonnes par an. L’alimentation est donc un contributeur majeur au changement climatique.

Des gaz à effet de serre mais pas que…

En outre, la production alimentaire est responsable de l’acidification des terres et de l’eutrophisation du milieu aquatique. C’est également une menace pour la biodiversité. A l’échelle mondiale, le système agricole exploite 43 % des terres (hors déserts et terres glacées) dont 87 % sert à produire de l’alimentation pour les êtres humains et pour le bétail. L’agriculture utilise aussi beaucoup d’eau pour l’irrigation, environ les deux tiers des prélèvements d’eau douce. Le système agricole mondial est donc très gourmand en ressources naturelles2.

Émissions mondiales de gaz à effet de serre du système alimentaire d'après les connées de Poore et Nemecek, Science 2018 et Crippa et al., Nature Food, 2021
Émissions mondiales de gaz à effet de serre du système alimentaire d’après les données de Poore et Nemecek, Science, 2018 et Crippa et al., Nature Food, 2021

La production alimentaire est intensive en énergie

Mais la production de notre alimentation est aussi très intensive en énergie1. Le processus complet va de la production à la consommation en passant par la transformation, le transport et l’emballage. La consommation d’énergie du secteur a augmenté de 15 % entre 1990 et 2015. C’est le secteur de l’emballage qui est le plus impactant (5,4 % CO2 eq) devant le transport (4,8 % CO2 eq). Les produits transformés utilisent de plus en plus de carton, de papier, de plastique, d’aluminium ou de verre pour être transportés et commercialisés à travers le monde. La production de verre ou d’aluminium est très énergivore. Enfin, dans les pays riches, c’est la réfrigération qui consomme beaucoup d’énergie. Par exemple, la consommation d’énergie de la vente au détail et des supermarchés a quadruplé en Europe depuis 1990. Elle représente aujourd’hui la moitié de la consommation de ce secteur.

Une répartition hétérogène

Depuis 1990, on observe un découplage entre les émissions de gaz à effet de serre et la population mondiale1. En effet, les émissions augmentent moins vite que le nombre d’êtres humains sur Terre. Elles ont chuté de 10 points passant de 44 % à 34 % en 25 ans. L’agriculture reste la première contributrice des émissions de CO2 (71%) dans le système alimentaire global. Cependant, la répartition des émissions est hétérogène suivant les pays. Les émissions de gaz à effet de serre sont les plus élevées dans les régions où le secteur agricole est important et où l’économie est faible. Si dans les pays en développement, l’agriculture et l’utilisation des sols sont les plus émissives, l’industrie alimentaire et les déchets sont les secteurs qui émettent le plus dans les pays industrialisés.

Alimentation et budget carbone

La production alimentaire et le système agricole émettent près d’un tiers1 des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Ce secteur n’est donc pas négligeable dans les émissions totales. Mais la réduction de l’empreinte carbone de l’alimentation reçoit moins d’attention que le secteur des transports ou de l’industrie. Or, pour rester sous les 1,5°C de réchauffement global, nous disposons d’un budget carbone qui se réduit d’année en année. En 2021, le GIEC a rappelé que pour avoir 67 % de chances de rester dans la trajectoire de l’accord de Paris, il fallait émettre au maximum que 400 Gt CO2 eq. à partir de 2020.

Différents types de budgets carbone. Émissions historiques cumulées de dioxyde de carbone (CO2) à gauche. A droite, le budget carbone restant à émettre pour rester en dessous de seuils de température spécifiques, par exemple, limiter le réchauffement à 1,5 °C avec une probabilité de 67 %.
Différents types de budgets carbone. Émissions historiques cumulées de dioxyde de carbone (CO2) à gauche. A droite, le budget carbone restant à émettre pour rester en dessous de seuils de température spécifiques, par exemple, limiter le réchauffement à 1,5 °C avec une probabilité de 67 %.

Dans ce cadre, des scientifiques des universités d’Oxford, du Minnesota et de Californie3 ont étudié les marges de manœuvres du secteur agricole pour rester sous la barre des 2°C de réchauffement global. Elles et ils estiment qu’en restant sur un scénario business-as-usual les émissions de la production alimentaire mondiale jusqu’en 2100 serait de 1 356 Gt, bien au-delà de la limite des émissions pour rester sous la barre des 1,5°C. Afin de diminuer l’empreinte carbone de l’alimentation, cinq scénarios sont envisagés :

  • la végétalisation de l’alimentation
  • la diminution des calories consommées par personne
  • l’augmentation des rendements (avec des méthodes agronomiques et génétiques)
  • la réduction du gaspillage alimentaire de 50 %
  • la réduction de l’intensité des émissions de gaz à effet de serre des aliments.
Projection des émissions de gaz à effet de serre cumulées entre 2020 et 2100 du système alimentaire mondial suivant les différents scénarios envisagés.
Projection des émissions de gaz à effet de serre cumulées entre 2020 et 2100 du système alimentaire mondial suivant les différents scénarios envisagés.

Le scénario individuel le plus efficace est de passer à un régime plus végétal. L’empreinte carbone du système agricole et de la production alimentaire est divisée par 2. Si on adopte les cinq scénarios à 50 % chacun, l’empreinte carbone est alors divisée par 2,5. Mais en appliquant les cinq stratégies à 100 %, le secteur agricole va absorber plus de carbone qu’il n’en émettra.

Si aucun des cinq scénarios pris individuellement n’est suffisant pour atteindre l’objectif des 1,5°C, une adoption partielle (à 50%) permet de rester sous cette barre. Cependant, tous les autres secteurs comme le transport doivent être neutre en carbone. Pourtant, l’étude le montre, l’agriculture et l’alimentation dans son ensemble peuvent être un puits de carbone.

Alors quels produits consommés ?

En 2022, une étude britannique4 a évalué l’impact environnemental de plus de 57 000 produits alimentaires. Son originalité provient du fait qu’au lieu d’étudier des produits bruts (viande rouge, fruits, céréales), les scientifiques ont étudié l’impact des produits transformés. Et petit plus : iels ont corrélé les données du Nutri-Score avec celles de l’impact environnemental. Résultat : un produit sain est souvent meilleur pour l’environnement mais il existe des exceptions.

Sur les 57 185 produits passés en revue, seulement 3 % avaient une composition totalement connue. Cela est le résultat du secret commercial derrière lequel les entreprises se retranchent. Cependant, grâce la législation entre autres5, les chercheur·ses ont pu estimer la composition quantitative de chaque ingrédient.

Leurs résultats montrent que tous les produits alimentaires ont plutôt un impact faible. Cela peut s’expliquer de deux manières. D’une part, les boissons sucrées sont majoritairement composées d’eau. D’autre part, de nombreux produits transformés sont à base de végétaux comme les chips ou les biscuits. L’impact environnemental le plus élevé est observé pour les produits à base de viande, de fromage et de poissons mais aussi pour des boissons comme le thé, le café ou le chocolat.

Enfin, les scientifiques ont comparé des produits carnés et leurs substituts à base de végétaux. Par exemple, pour les saucisses, les alternatives véganes et végétariennes sont plus saines et ont moins d’impacts environnementaux que celles à base de viande.

Relation entre l'impact nutritionnel et l'impact environnemental de 5 types de saucisses.
Relation entre l’impact nutritionnel et l’impact environnemental de 5 types de saucisses.

Opter pour un régime alimentaire plus végétal est meilleur pour l’environnement mais aussi pour la santé. Une étude de 20216 publiée dans Nature Food montre que les aliments carnés émettent deux fois plus de gaz à effet de serre que les aliments d’origine végétale. Le riz et le bœuf sont les plus grand émetteurs de gaz à effet de serre pour chaque catégorie. Quant aux deux grandes régions du monde les plus contributrices à l’effet de serre, ce sont l’Asie du Sud et du Sud-Est et l’Amérique du Sud.

La production alimentaire est plus polluante que l’on croit

Suivant les sources, on peut estimer que le système alimentaire dans son ensemble produit entre 25 % et 34 % des gaz à effet de serre de la planète. Il est donc un contributeur majeur au changement climatique mais aussi gourmand en ressources naturelles et en énergie. L’agriculture est responsable de l’eutrophisation des cours d’eau par le recours aux engrais azotés. L’utilisation des pesticides est une menace pour la biodiversité. Les deux tiers des prélèvements d’eau douce mondiales sont destinées à l’irrigation. Depuis les années 1990, les émissions de gaz à effet de serre de la production alimentaire sont découplées de la croissance de la population mondiale. Si les émissions ont diminué de 10 points, la consommation d’énergie, quant à elle, a augmenté de 15 % en 25 ans.

Cependant, de nombreuses études ont montré qu’en changeant de régime alimentaire, en diminuant les calories par personne ou en réduisant le gaspillage alimentaire, on peut diviser par deux les émissions du secteur voire avoir un impact positif. En conclusion, le geste individuel pour réduire l’impact environnemental de son alimentation est de la végétaliser au maximum.

Saviez-vous que l’alimentation dans son ensemble contribuait à un tiers des gaz à effet de serre mondiaux ?

Bibliographie et notes  :

1 Crippa M. et al., Food systems are responsible for a third of global anthropogenic GHG emissions, Nature Food, 32, 2021

2 Poore J., Nemecek T., Reducing food’s environmental impacts through producers and consumers, Science, 360, 2018

3 Clark M.A. et al, Global food system emissions could preclude achieving the 1.5°C and 2°C climate change targets, 370, Science, 2020

4 Clark M. et al., Estimating the environmental impacts of 57,000 food products, PNAS, 2022

5 En Grande-Bretagne comme en France, la quantité de bœuf dans les lasagnes doit être indiquée sur le paquet.

6 Xu X. et al, Global greenhouse gas emisions from animal-based foods are twice those of plant-based foods, Nature Food, 2, 2021

Crédit photo : Marios Gkortsilas (Unsplash) pour la photo de couverture

Vous pourriez également aimer...