Effet Matilda

[Effet Matilda] Rosa Bonheur, peintre animalière et femme libre

Rosa Bonheur est une peintre animalière extrêmement célèbre du 19ème siècle. Elle connut une renommée internationale, notamment aux États-Unis et en Angleterre. Elle a produit plus de 15 000 œuvres au cours de sa vie dont des tableaux et des sculptures. Elle a été la première à avoir un agent artistique et la première femme à s’acheter un bien immobilier, le château de By près de Fontainebleau, avec l’argent de son travail.

Elle est connue pour son amour des animaux. Elle en a recueilli tout au long de sa vie, d’un écureuil dans l’appartement familial de Paris à un couple de lions dans son château de By. Ses études et ce soin apporté au détail dans la peinture des animaux a assis sa notoriété.

Femme libre, elle a refusé de nombreuses demandes en mariage et a préféré la compagnie de femmes, en premier lieu, Nathalie Micas qu’elle a connue à l’adolescence et qui partagea sa vie pendant 50 ans.

Après sa mort, son travail est éclipsé par les impressionnistes. La mode de la peinture naturaliste est passée. En 2022, on redécouvre son œuvre à l’occasion d’un exposition au musée de Beaux-Arts de Bordeaux puis au musée d’Orsay à Paris à l’occasion du bicentenaire de sa naissance. Oubliée par les manuels d’histoire de l’art, elle a toute sa place dans ma série Effet Matilda.

Photo de Rosa Bonheur, Wikimedia Commons
Photo de Rosa Bonheur, Wikimedia Commons

L’enfance de Rosa Bonheur, de Bordeaux à Paris

Marie-Rosalie Bonheur naît à Bordeaux le 16 mars 1822 d’une père peintre, Raimond Bonheur et d’une mère aux origines bourgeoise, Sophie Marquis1. Elle est l’aîné de quatre enfants. Ses frères et sœurs, Auguste, Isidore et Juliette seront tous et toutes des artistes reconnus.

L’enfance de Rosa Bonheur est heureuse à Bordeaux où elle se découvre une passion pour les animaux. Elle passe ainsi beaucoup de temps dans le château de son grand-père à Quinsac. Selon ses dires, Rosalie est un « garçon manqué » préférant courir dans les champs que d’apprendre l’alphabet. Elle se révèle plus douée pour le dessin que pour la lecture. A quatre ans, son père la peint avec un polichinelle dans les bras. Une fois le tableau terminé, elle installe sa poupée sur une chaise et se met à dessiner. Sa vocation est née : Rosalie Bonheur sera peintre et son sujet de prédilection seront les animaux.

En 1828, Raimond Bonheur part pour Paris afin de faire avancer sa carrière artistique. Un an après, à l’age de 7 ans, Rosa Bonheur et toute la famille, sa mère Sophie et ses deux frères Auguste et Isidore, le rejoignent.

Portrait de Rosa Bonheur à l’âge de 4 ans par son père Raimond Bonheur

De la mort de la mère de Rosa Bonheur à sa vocation de peintre

A Paris, les temps sont durs. Raimond Bonheur trouve peu de leçons de peinture et elles sont mal payées. Si le grand-père de Rosa Bonheur, Jean-Baptiste Dublan de Lahet leur envoie de l’argent pour subvenir à leurs besoins, il meurt en 1830 mettant fin à toute aide. Sophie Bonheur perd son protecteur et son père mais ne peut prétendre à l’héritage faute de reconnaissance officielle de sa filiation.

A cette époque les trois enfants, dont Rosa Bonheur, entrent à l’école de garçons, créé par un voisin de la famille. Sophie fait bouillir la marmite en acceptant des travaux de couture et donne des leçons de piano. Pendant ce temps, le père, Raimond Bonheur, se rapproche des saint-simoniens2 et finit par rentrer dans un couvent laïc avec d’autres fidèles du Saint-Simonisme. Il abandonne sa famille. Sans ressources ou presque Sophie Bonheur s’épuise au travail et meurt en 18333. Rosalie Bonheur a 11 ans. Elle ne se remettra jamais de sa mort. Elle prendra le nom de Rosa en souvenir de sa mère bien-aimée qui la surnommait ainsi.

Portrait de Rosa Bonheur par Edouard Louis Dubufe vers 1857. Wikimedia Commons
Portrait de Rosa Bonheur par Edouard Louis Dubufe vers 1857. Wikimedia Commons

Raimond Bonheur regagne l’appartement familial. Auguste et Isidore sont envoyés en pension et Juliette, âgée de 3 ans, chez la nourrice de sa mère à Bordeaux. Seule Rosa reste à Paris avec son père. Elle veut faire de la peinture mais son père refuse. Il préfère lui donner une éducation de « vraie »  fille et l’inscrit dans une école de couture mais Rosalie déteste et se fait renvoyer. Elle préfère dessiner et caricaturer ses professeurs. Les renvois se succèdent.

Enfin, Raimond accepte de lui donner des cours de dessin. Il sera son unique professeur, les femmes n’étant pas admises aux Beaux-Arts4.

Rosa Bonheur rencontre Nathalie Micas

Rosalie Bonheur apprend le dessin avec son père et fréquente avec assiduité le Louvre pour se perfectionner. Raimond Bonheur l’encourage à suivre les pas d’Elizabeth Vigée-Le Brun5 et ambitionne pour elle la peinture d’histoire. Mais Rosalie préférera la peinture animalière. Ses copies du Louvre sont remarquées et elle commence à vendre ses tableaux. L’argent gagné est donné à son père et renfloue les caisses.

Rosa Bonheur et Nathalie Micas, photographie, Nice, 1882. Wikimedia Commons
Rosa Bonheur et Nathalie Micas, photographie, Nice, 1882. Wikimedia Commons

A 14 ans, Rosa Bonheur rencontre Nathalie Micas. Son père demande à Raimond Bonheur de peintre un portrait de sa fille. Ainsi, Nathalie Micas fréquentera l’atelier des Bonheur. Rosa donnera des leçons à Nathalie, Nathalie s’occupera du ménage et de la couture. Les deux familles se lieront d’amitié. Rosa deviendra très proche Mme Micas, qui sera une mère de substitution. Nathalie Micas, quant à elle, jouera un grand rôle dans la carrière Rosa Bonheur.

La première exposition de Rosa Bonheur au Salon de 1841

En 1841, Rosa Bonheur présente deux tableaux au Salon6 qui sont tous les deux acceptés : Deux Lapins et Chèvres et moutons. Entre 1842 et 1845, toutes les œuvres que Rosa Bonheur présentées au Salon sont acceptées. En 1845, elle obtiendra une troisième médaille (médaille de bronze) pour Le Labourage et Bélier, Brebis et Agneau.

Rosa Bonheur continue de donner tout l’argent gagné à son père. Entre temps, il s’est remarié et Rosa ne porte pas sa belle-mère dans son cœur. Elle en profite pour s’échapper. Elle achète une jument Margot et parcourt la campagne environnante7. Elle fréquente les abattoirs et demande un permis de travestissement8, c’est-à-dire le port du pantalon pour être plus à l’aise. Aller dans les abattoirs lui permettra d’étudier avec minutie les animaux.

En 1846, elle part en Auvergne, avec sa belle-mère originaire de la région, étudier les vaches de Salers. Elle y retourne en 1847 avec Nathalie. Ce voyage sera une source d’inspiration pour ses prochains tableaux qui mèneront Rosa Bonheur à la consécration.

Le roi de la Forêt, Rosa Bonheur, 1878. Wikimedia Commons

1849 : Rosa Bonheur s’émancipe

En 1848, à l’âge de 26 ans, Rosa Bonheur reçoit la médaille d’or pour son tableau Bœufs et taureaux, race du Cantal. Sa carrière décolle. Elle reçoit une commande d’État et sera payé 3 000 francs. En 1849, elle exposera Le Labourage nivernais au Salon, un de ses chefs-d’œuvre. Dans le même temps, des marchands d’art les Tedesco, père et fils s’intéressent à son travail. Ils assureront la renommée de ses toiles pendant plus de 40 ans.

Le Labourage Nivernais, Rosa Bonheur, 1849
Le Labourage Nivernais, Rosa Bonheur, 1849, Wikimedia Commons

En 1949, Raimond Bonheur meurt. Rosa s’émancipe. Elle quitte sa famille et part vivre avec Nathalie Micas et sa mère, sa famille de cœur. Elles ne se quitteront plus. Ce mode de vie fera naître des rumeurs sur l’homosexualité de Rosa9. Elle ne mariera jamais peut-être par peur de finir comme sa mère. Rosa Bonheur est une femme libre. Elle travaille beaucoup pour subvenir à ses besoins. Elle choisit le célibat et de vivre avec d’autres femmes. Celles-ci décident de partager leur logement, de mettre en commun leurs ressources et de se léguer leurs biens. Elles constituent ainsi un matrimoine, courant au 19ème.

A la mort de son père, elle reprend la direction de l’école gratuite de dessin pour jeunes filles. Elle en cédera la direction à sa sœur Juliette en 1860 mais sera toujours directrice honoraire.

Rosa Bonheur, une artiste internationale

Après son succès au Salon de 1849, Rosa Bonheur et Nathalie Micas, en mauvaise santé voyagent dans les Pyrénées. Comme pour son voyage en Auvergne, il inspirera de nombreux tableaux. Elle y retournera de nouveau en 1853.

1853, c’est l’année du Marché aux Chevaux. Après le succès du Labourage Nivernais, Rosa Bonheur est une artiste reconnue en France. L’État décide de lui commander un nouveau tableau. Le ministre de l’Intérieur, Monsieur de Morny, fait part de cette décision à Rosa. Elle lui répond qu’elle a deux tableaux en cours : Le Marché aux Chevaux et La Fenaison en Auvergne, projet moins ambitieux. Monsieur de Morny préfère La Fenaison en Auvergne car il met en doute sa capacité à peindre des chevaux. Mauvaise pioche !

Le Marché aux chevaux, Rosa Bonheur, 1852-1855
Le Marché aux chevaux, Rosa Bonheur, 1852-1855, Wikimedia Commons

Le Marché aux Chevaux encore inachevé est exposé au Salon de 1853 où il rencontre un vif succès. A partir de cette année, tous les tableaux de Rosa Bonheur y seront acceptés. Le tableau est ensuite exposé à Gand en Belgique puis à Bordeaux. Sa ville natale refusa de l’acheter. Il est finalement vendu à un marchand d’art belge Ernest Gambart. Il propose à Rosa Bonheur et Nathalie Micas de l’accompagner pour présenter le tableau en Angleterre et en Écosse. L’accueil est triomphal. Rosa Bonheur en profite pour faire de nombreuses études et peindra de nombreux tableaux de moutons et bœufs écossais. Quant au Marché aux Chevaux, il sera revendu à un millionnaire américain. Il est actuellement exposé à Metropolitan Museum à New York.

La vie de Rosa Bonheur au château de By

Rosa Bonheur est une peintre animalière reconnue. Ses tableaux n’ont pas le temps de sécher qu’ils sont déjà vendus aux États-Unis et en Angleterre. Elle n’expose plus entre 1856 et 1867. Les critiques lui reprocheront son absence au Salon. Elle est si célèbre outre-Atlantique qu’une poupée en porcelaine est créée à son effigie.

Mais cette célébrité l’empêche de travailler. Les visites de femmes et hommes importants se multiplient dans son atelier. Elle cherche à s’installer à la campagne dans un lieu isolé. Ce sera le château de By à Thomery près de Fontainebleau. Le terrain de trois hectares près de Fontainebleau accueillera tous ses pensionnaires : chiens, chevaux, moutons, cerfs et biches, sangliers, lions…. Elle fait construire un atelier et continue à travailler. Ce sera un havre de paix où elle mènera une vie simple et recevra ses amis les plus chers.

Le 10 juin 1865, l’impératrice Eugénie lui remet les insignes de chevalier de la Légion d’Honneur au château de By lors d’une visite surprise. Rosa Bonheur est ainsi la première artiste à recevoir cette distinction. Elle sera promue au rang d’Officier par le président Sadi Carnot en 1894.

Portrait de Anna Bonheur par Anna Klumpke, 1898, Wikimedia Commons

La mort de Nathalie Micas

Que serait Rosa Bonheur sans Nathalie Micas. Elle gérera l’intendance et la vie quotidienne au château de By. Elle participera à certaines œuvres en préparant les fonds ou en calquant les dessins sur le tableau définitif. Elle sera aussi son impresario. En facilitant la vie de Rosa Bonheur, Nathalie Micas va lui permettre de se consacrer entièrement à son art.

Nathalie Micas est de santé fragile. Elle fait régulièrement des séjours dans des villes thermales, Eaux-Bonnes dans les Pyérénées et Ems en Prusse en 1850 en compagnie de Rosa. En 1884, elles achètent la villa Bornala à Nice pour y passer les hivers et y mener une vie mondaine. Ernest Gambart y possède lui aussi une villa.

En 1861, elle invente un système de freinage pour les trains et dépose un brevet l’année suivante. Malheureusement, il ne sera jamais commercialisé. Elle s’intéresse aussi à la culture des camélias dans leur villa de Nice.

Le 21 juin 1889, Nathalie Micas meurt laissant Rosa Bonheur est désemparée.

Anna Klumpke, sa dernière confidente

En 1889, lors de l’exposition universelle de Paris, Rosa Bonheur rencontre Buffalo Bill. Elle a depuis longtemps une admiration pour les Amerindiens. En plein deuil de Nathalie Micas, elle se rend tous les jours dans le campement et dessine : bisons, chevaux, indiens avec leurs armes… Elle peint également un portrait de Buffalo Bill. Cet éventement la sort un temps de sa torpeur.

Rosa Bonheur et Anna Klumpke au château de By vers 1898. Wikimedia Commons
Rosa Bonheur et Anna Klumpke au château de By vers 1898. Wikimedia Commons

A cette occasion, elle rencontre pour la première fois Anna Klumpke qui sert d’interprète à John Arbuckle10. Anna Klumpke11 est une portraitiste américaine qui a été élevée à Paris par sa mère. Elle parle parfaitement français. Admirative du travail de Rosa Bonheur, c’est une occasion rêvée de la rencontrer. Les deux femmes se lient d’amitié et correspondent régulièrement. Rosa Bonheur demande à Anna Klumpke de lui fournir de l’herbe à bisons lors d’un de ces séjours aux États-Unis, qu’elle ne recevra pourtant jamais. Au fil des années, Anna Klumpke revient régulièrement à By et souhaite en secret peindre son portrait.

Après de nombreux malentendus, Rosa Bonheur accepte.En 1898, Anna réalise son portrait suite à sa demande six mois plutôt. En juin de la même année, Anna Klumpke s’installe donc à By. Rosa Bonheur lui demande de rester une fois le portrait fini. Elle souhaite également qu’elle rédige ces mémoires. La biographie de Rosa Bonheur Rosa Bonheur, sa vie, son œuvre écrite par Anna Klumpke sort en 1908.

Rosa Bonheur s’éteint le 25 mai 1899 au château de By. Une semaine avant sa mort, elle a fait d’Anna Klumpke sa légataire universelle. Le testament de Rosa est contesté par la famille Bonheur. Anna Klumpke est contrainte de se séparer de toutes les études lors d’une vente publique qui rapportera plus d’un million de francs. Elle reversera la moitié des bénéfices à la famille Bonheur. Elle rachètera par la suite un certain nombre de dessins, partagera son temps entre By et les Etats-Unis où elle poursuivrat sa carrière. Elle s’éteint en 1942 à San Francisco.

Rosa Bonheur est inhumée au Père-Lachaise dans le caveau des Micas, au côté de sa chère Nathalie et d’Anna Klumpke conformément à ses souhaits.

Connaissez-vous la vie et l’œuvre de Rosa Bonheur ?

Pour aller plus loin :

Rosa Bonheur, l’audacieuse, Natacha Henry, Édition Albin Michel : Biographie romancée de la jeunesse de Rosa Bonheur à destination des adolescent·es.

Rosa Bonheur, dame nature, documentaire de Grégory Monro

Les œuvres de Rosa Bonheur sont accessible sur le portail WikiArt

Petites histoires de grandes artistes, Rosa Bonheur, vidéo ludique pour les enfants à partir de 7 ans, Women Artists Research & Exhibitions

Sources :

Souvenirs de ma vie, Rosa Bonheur et Anna Klumpke, Editions Phebus

Rosa Bonheur, une artiste à l’aube du féminisme, Marie Borin, Pygmalion

Rosa Bonheur, Sandrine Andrews, Larousse

Notes :

1 Sophie Bonheur apprendra à la mort de son protecteur, Jean-Baptiste Dublan de Lahet qu’il est son père. Elle ne connaîtra jamais l’identité de sa mère, qui serait de sang royal.

2 Le Saint-Simonisme est une doctrine visant à émanciper les ouvriers et les femmes. Pourtant, ce seront toujours des hommes qui dirigeront cette nouvelle religion.

3 Sophie Bonheur est peut-être morte du choléra qui sévissait à l’époque. Elle a été enterrée dans une fosse commune. Rosa Bonheur n’a jamais pu lui offrir une tombe à son nom.

4 En 1897, les femmes peuvent se présenter au concours de l’école des Beaux-Arts.

5 Elizabeth Vigée-Le Brun (1755 – 1842) est une célèbre portraitiste.

6 Le Salon ou Salon de peinture et de sculpture est une manifestation qui exposait au public les œuvres des artistes. Avant d’être exposées, elles devaient être acceptées par un jury.

7 Paris est à cette époque bien différent.

8 Nathalie Micas obtiendra aussi son permis de travestissement.

9 La question des relations entre Rosa Bonheur et Nathalie Micas est toujours discutée.

10 John Arbuckle avait envoyé un cheval à Rosa Bonheur et souhaitait avoir de ses nouvelles.

11 Anna Klumpke a quatre sœurs et deux frères dont Augusta Klumpke-Dejérine, neurologue et première femme interne des Hôpitaux de Paris, Dorothée Klumpke-Roberts, astronome et première femme docteure en mathématiques de la Sorbonne, Mathilda Milton Dalton, pianiste et Julia Klumpke, violoniste.

Crédit photo : Wikimedia Commons pour la photo de couverture

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