Climat Limites planétaires

5 points de bascule climatique bientôt franchis ?

+1,1°C c’est l’augmentation de la température moyenne du globe depuis le début de l’ère industrielle. Ce degré en plus pourrait déjà entraîner le franchissement de points de bascule climatique et des déstabilisations de grandes régions du monde selon une étude parue en septembre 2022 dans Science1.

Une préoccupation majeure

L’étude des points de bascule climatique (Climate tipping points en anglais) est une préoccupation majeure des scientifiques depuis de nombreuses années. Dès 2008, Timothy M. Lenton et ses co-auteurs2 en avaient déjà identifié un certain nombre et depuis n’ont cessé d’avertir sur les conséquences3 du franchissement de ses seuils. Le mois dernier, iels ont mis à jour leur analyse de 2008 en passant en revue plus de 200 articles publiés depuis cette première évaluation. Le nombre de point de bascule est passé de 9 à 16. Les auteur·rices ont identifié les preuves de ses points de bascule ainsi que le seuils de température, les échelles de temps et leurs impacts.

D’autre part, dans son dernier rapport, le GIEC propose 15 points de bascule liés à la cryosphère, à la biosphère ou à l’atmosphère. Les méthodes d’analyse et les systèmes choisis pour certains sont différents de l’étude citée précédemment puisque le GIEC ne propose pas de seuils de température. Par contre, l’irréversibilité des phénomènes, le changement climatique abrupt ou les projections pour 2100 y sont évoqués. Par exemple, les océans vont de se réchauffer tout au long du 21ème siècle et de façon irréversible sur plusieurs siècles. Il est aussi probable que la glace de mer arctique disparaisse complètement en fin d’été.

Définir un point de bascule

Il existe plusieurs définitions pour les points de bascule. En voici deux :

  • Les points de bascule se produisent lorsque le changement dans une partie du système climatique devient (i) auto-entretenu au-delà (ii) d’un seuil de réchauffement […], conduisant à (iii) des impacts substantiels et étendus sur le système terrestre. (Définition simplifiée, référence 1).
  • Le GIEC définit un point de bascule très simplement comme un seuil critique au-delà duquel un système se réorganise, souvent de manière abrupte et/ou irréversible.
Les 16 points de bascules climatiques suivant les seuils de réchauffement global. (David I. Armstrong McKay et al., Science, vol. 377, no. 6611, 2022)
Les 16 points de bascules climatiques suivant les seuils de réchauffement global. (David I. Armstrong McKay et al., Science, vol. 377, no. 6611, 2022)

Cinq points de bascule climatique potentiellement franchis

L’étude de Science est d’autant plus intéressante qu’elle alerte sur le possible franchissement de points de bascule avec le réchauffement actuel.

Ainsi avec +1,1°C de plus, cinq points de rupture se rapprochent de la limite basse de basculement vers un emballement régional ou mondial : la disparition des calottes glaciaires du Groenland et de l’ouest de l’Antarctique, le dégel brutal et généralisé du pergélisol (sols gelés en permanence) des régions boréales, le dépérissement des récifs coralliens tropicaux et l’effondrement de la convection dans la mer du Labrador.

Dès 1,5°C en plus, qui est l’objectif le plus ambitieux de l’Accord de Paris, quatre de ces points de bascule deviennent probables et cinq de plus deviennent possibles comme l’arrêt du courant océanique AMOC (circulation méridienne de retournement de l’Atlantique) qui régule le climat. L’expansion de la forêt boréale au nord et sa disparition au sud, la quasi-disparition des glaciers de montagne et de la banquise de la mer de Barents peuvent aussi basculer.

Comme le rappelle le GIEC dans son rapport d’août 2021, les risques de déclenchement de ces points de bascule deviennent élevés à partir de +2°C de hausse de la température globale et très élevés à partir de 2,5 à 4°C.

Sommes-nous encore dans un climat sûr ?

Ces résultats de l’étude amènent les scientifiques à penser que nous avons quitté un état climatique sûr depuis que le réchauffement a dépassé les 1°C. Ils et elles en concluent que «  même l’objectif de l’accord de Paris des Nations Unies de limiter le réchauffement à bien moins de 2°C et de préférence à 1,5°C n’est pas suffisant pour éviter totalement un changement climatique dangereux. »

Les auteurs et autrices de l’article rappellent également que les politiques actuelles entraînent un réchauffement de 2,6°C à l’horizon 2100. A ce niveau de température, le dégel du permafrost, la disparition des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique de l’ouest est très probable. De plus, cela déclencherait l’effondrement des bassins sous-glaciaires de l’est de l’Antarctique, notamment le bassin de Wilkes, le déplacement de mousson ouest-africaine entraînant le verdissement du Sahel et le dépérissement de la forêt amazonienne.

Des phénomènes auto-entretenus, en cascade et sur des périodes de temps variables

Le choix de 16 points de bascule impliqués dans la régulation du climat sont conditionnés à des changements auto-entretenus c’est-à-dire que même si la température cessait d’augmenter, ces systèmes (les calottes glaciaires, les forêts boréales, le pergélisol…) continuerait d’évoluer (fonte, disparition…). Ces changements, irréversibles ou non peuvent être abrupts ou se dérouler sur plusieurs siècles. Enfin, ils peuvent affecter l’ensemble du globe comme la fonte du Groenland ou avoir un impact régional comme pour les forêts boréales.

Certains événements peuvent provoquer un effet domino4. Ainsi la disparition de la glace d’hiver en mer de Barents aurait un effet sur le climat européen, la circulation atmosphérique et potentiellement sur le courant AMOC. Pour rappel, la mer de Barents est un système qui risque de basculer de façon abrupte dès une hausse de 1,6°C. Le courant AMOC serait aussi affecté par la fonte de la calotte glaciaire du Groenland. Ce courant se serait déjà affaibli de 15 % au cours de ces 50 dernières années. Son effondrement aurait des impacts mondiaux : refroidissement de l’Atlantique Nord, réchauffement de l’hémisphère sud, affaiblissement de la mousson en Afrique et en Asie, renforcement de la mousson dans l’hémisphère sud entraînant l’assèchement du Sahel et de certaines parties de l’Amazonie, réduction des puits de carbone naturels. Cependant, le Dr David Armstrong McKay rappelle dans les colonnes du Monde qu’ « un point de non-retour du climat mondial, risquant de rendre la planète invivable, n’a en revanche pas été démontré. »

Estimation des intervalles de réchauffement global pour le franchissent des points bascules climatiques (The Guardian)
Estimation des intervalles de réchauffement global pour le franchissent des points bascule climatique (The Guardian)

Le lien entre les calottes glaciaires et le courant AMOC

Dans une étude parue en 20214, les interactions entre cinq éléments de basculement (les calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique ouest, le courant AMOC, la forêt amazonienne et El Niňo) sont examinées. Les scientifiques montrent que tous ces éléments ont un effet déstabilisant global sur le climat. Les calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique occidental sont souvent les initiatrices de cet effet domino non-linéaire. L’AMOC agit lui comme un intermédiaire. De plus, ces interactions entre éléments de basculement ont tendance à abaisser les seuils de température critiques de basculement.

Les calottes glaciaires qui risquent déjà de franchir les points de bascule climatique à partir de 1,5°C de réchauffement (objectif ambitieux de l’accord de Paris) sont cruciales pour la stabilité du système climatique dans son ensemble.

Lien entre les différents points de bascule à travers le globe
Lien entre les différents points de bascule à travers le globe (Timothy M. Lenton et al., Nature, vol 575, 2019)

Les impacts économiques des points de bascule climatique

Le changement climatique affecte déjà nos conditions de vie et son effet s’amplifiera dans le futur. Comment se protéger des canicules et de la montée des eaux ? Comment lutter contre la sécheresse et les pénuries (eau, aliments, énergie) ? Mais le lien entre changement climatique et conséquences économiques est plus difficile à établir.

Les économistes commencent à s’intéresser aux liens entre points de bascule climatique et économies. Dans un revue de 52 études, Dietz et al. montrent que le franchissement des points de bascule climatique augmente de 25 % le coût social du carbone. Le coût social du carbone est le coût économique de l’émission supplémentaire d’une tonne de carbone. Il tend à être inégalement réparti et est plus élevé dans les régions les pauvres et chaudes comme l’Asie du Sud-Ouest ou l’Afrique sub-saharienne. Seules quelques régions de l’hémisphère nord tireraient un bénéfice du changent climatique mais 98 % des pays voient leur coût social carbone augmenter. Si cette étude est fragmentaire, elle met en lumière les aspects économiques du franchissement des points de bascule climatique.

Limiter le réchauffement climatique à 1,5°C

Le réchauffement climatique actuel de 1,1°C nous amène déjà dans une zone dangereuse avec le possible franchissement de cinq points de bascule climatique. Avec 1,5°C, quatre de ces points deviennent probables : la disparition des calottes glaciaires du Groenland et de l’ouest de l’Antarctique, le dégel brutal et généralisé du pergélisol, le mort des récifs coralliens tropicaux. A l’heure actuelle, les engagements climat des états nous conduit à un réchauffement moyen de 2,6°C. De plus, les scientifiques redoutent un effet domino affectant plusieurs régions du monde ou des courants comme l’AMOC. Si son ralentissement et sa déstabilisation fait l’objet d’études contradictoires, il est un des systèmes majeurs de la régulation du climat.

Chaque dixième de degré compte. En effet, chaque incrément de température rend le basculement plus probable même si les auteurs de l’étude parue dans Science ne peuvent prédire quand le basculement deviendra inévitable. Cependant, cette augmentation minime de la température globale déstabilisera les systèmes au bord du basculement et pourra entrer dans des phénomènes auto-entretenus. Dans ce contexte, la Suisse à proposer au GIEC de travailler sur ces points de bascule climatique dans un rapport spécial.

Que vous évoque les points de bascule climatique ?

Pour aller plus loin :

https://climatetippingpoints.info/

Climate tipping points could lock in unstoppable changes to the planet – how close are they?, David Amrstrong McKay, The Conversation, 06/10/2022

Bibliographie :

1 David I. Armstrong McKay et al., Exceeding 1.5°C global warming could trigger multiple climate tipping points, Science, vol. 377, no. 6611, 2022

2 Timothy M. Lenton et al., Tipping elements in the Earth’s climate system, PNAS, vol. 105, no. 6, 2008

3 Timothy M. Lenton et al., Climate tipping points – too risky to bet against, Nature, vol 575, 2019

4 Wunderlling N. et al., Interacting tipping elements increase risk of climate domino effects under global warming, Earth System Dynamics, vol 12, 2021

5 Dietz S. et al., Economic impacts of tipping points in the climate system, PNAS, vol 11, no 34, 2021

Crédit photo : Matt Palmer (Unsplash) pour la photo de couverture

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